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Terrorisme: l'Égypte y échappe encore, la France pourrait le connaître

Des soldats français patrouillent sur les Champs-Elysées dans le cadre du plan Vigipirate

Des soldats français patrouillent sur les Champs-Elysées dans le cadre du plan Vigipirate - -

EDITO - Le tireur solitaire qui a sévi à Paris, vendredi à BFMTV et lundi à Libération et devant la Société générale, est révélateur d'un climat propice au terrorisme en France, selon notre spécialiste.

À peine rentré d'un voyage en Égypte, je découvre la virée folle d'un psychopathe anti-journaliste dans Paris, venant si vite après l'assassinat de nos confrères au Mali – assommant. Voilà qui confirme que nous vivons une époque de terreur tous azimuts.

Nos idées sur le terrorisme tombent

"Dangereux, l'Égypte", m'a-t-on dit çà et là avant mon départ, et la rareté des touristes dans ce pays confirme cette peur. Et pourtant j'y ai pris le métro, le tram. J'ai déambulé dans un quartier classe moyenne, Roudah, pour acheter des choses non touristiques, sans rencontrer un seul regard menaçant. Cela tend à illustrer que le danger n'était pas particulièrement au coin de la rue en Égypte en ce moment (sauf dans l'extrême nord du Sinaï, qui est peuplé de Bédouins et de Palestiniens et qui connaît une guerre contre l'armée depuis 18 mois).

Alors si le terrorisme n'est pas soudainement en train de déchirer l'Égypte hors Sinaï, le voilà ailleurs, le voilà partout. Le danger s'est démultiplié. Le schéma de pensée de nous autres, Occidentaux équilibrés et raisonnables, est ébranlé. Nous croyons que la pauvreté extrême engendre la révolte, la violence, et que la domination impérialiste pousse des peuples musulmans entre les bras de Ben Laden. Nous croyons que les islamistes sont ces révoltés, qui voient le salut de l'humanité dans une charia réinterprétée: sur ce dernier point uniquement nous avons vu juste.

Les différents profils de tueurs

Notre analyse doit être enrichie: il faut aussi un climat psychologique délétère pour en arriver au terrorisme généralisé, tant pour les djihadistes que pour les néo-nazis.

Car il faut des tueurs, et il y en a de deux sortes: les psychopathes, et les manipulés.

Les psychopathes d'abord, divisés en deux catégories: les suicidaires, et les assassins calculateurs. L'exemple américain est parlant. Les suicidaires y abattent étudiants, élèves, spectateurs de cinéma, passagers, souvent sans raison. Ils s'achèvent eux-mêmes, se battent à la mort avec la police, ou finissent par se laisser prendre. Les frères Tsarnaev, en revanche, sont des suicidaires de mèche avec des assassins, le mode parfait pour al-Qaïda.

D'ailleurs, chez les djihadistes, les psychopathes assassins dirigent. Le djihadisme est une idéologie nihiliste: tout détruire pour bâtir le paradis sur les décombres. Les nihilistes ont toujours visé les ambassades, médias, postes de police, lieux de culte, centres commerciaux. Ils ne cherchent pas à tant renverser un pouvoir, que de provoquer l'enfer sur terre. Pour détruire, rien ne vaut des psychopathes et des manipulables.

Ces manipulables ne sont pas rares en ces temps moralement instables. Le climat psychologique est anxiogène, l'espérance bien faible. Les djihadistes, en assassins calculateurs, savent les recruter, les formater, et les envoyer en mission suicide. Quant aux néo-nazis, pour nihilistes qu'ils soient, ils n'ont pas cette catégorie-là de personnel. Le suicide, c'est pour la défaite, c'est ce qu'ont fait Hitler et Goebbels, c'est grandiose.

Quelle riposte proposer?

La riposte des États est sécuritaire évidemment, mais si les terroristes cherchent l'enfer sur terre, alors je pense que la la riposte doit proposer le paradis, c'est-a-dire apporter l'espoir de progrès ici et maintenant. Or, le climat dépressif dans lequel nous baignons est malheureusement parfait pour encourager le nihilisme, qui a son tour recrute les psychopathes et les manipulables. La riposte purement répressive est inadéquate.

Et j'en reviens à cette Égypte si calme au Caire (hormis les heurts très localisés entre partisans divers) et à Alexandrie ces jours-ci. En Égypte, en dehors du nord du Sinaï, l'absence de terrorisme prévaut car il y a un espoir de progrès!

Pour le moment, l'armée et l'État tentent de restaurer des services publics essentiels et de résoudre les malheurs classiques. La masse égyptienne, déçue par l'incurie des Frères Musulmans, veut y croire et donne sa chance aux nouveaux gouvernants après avoir désavoué les anciens. Ce sentiment de progrès à venir, de pouces en l'air que l'on voit chez les citoyens qui désignent des soldats en faction, montre l'espoir. Même l'électorat des Frères musulmans veut une Égypte qui réussit, et se résigne à voir d'autres qu'eux réussir. Donc si le plus grand nombre croit que le pouvoir actuel apportera une vie meilleure, alors peut-être que le djihadisme ne pourra pas tenter les psychopathes et les manipulables. En France, l'espoir est au plus bas, et les psychopathes pourraient bien devenir nihilistes. Ils auront bien sûr à choisir entre Mohamed Merah (djihadiste) et Maxime Brunerie (néo-nazi, qui tira sur Jacques Chirac en 2002).

Harold Hyman et journaliste spécialiste de géopolitique