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Raids israéliens sur Gaza : l'Égypte "entre le marteau et l'enclume"

Mohamed Morsi, président egyptien, chef du Parti de la Liberté et de la Justice, vitrine des Frères Musulmans.

Mohamed Morsi, président egyptien, chef du Parti de la Liberté et de la Justice, vitrine des Frères Musulmans. - -

Au troisième jour des affrontements entre Israël et Gaza, le Premier ministre égyptien s'est rendu à Gaza. Entre soutien officiel au Hamas et tentative de médiation, à quoi joue réellement l’Égypte ?

Une vingtaine de morts du côté palestinien, 500 raids aériens israéliens effectués, plus de 280 roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Trois jours après le début de l'opération "Pilier de Défense", déclenchée avec l'élimination du chef militaire du Hamas, les affrontements entre Israël et Gaza se poursuivent. Hicham Qandil, le Premier ministre égyptien, s'est rendu sur place en tant que médiateur.

Si la population égyptienne manifeste au Caire et se positionne très clairement en faveur des Palestiniens et contre Israël, le gouvernement, lui, est plus prudent. Mais quel est réellement la position de l’Egypte dans ce conflit ?

BFMTV.com fait le point sur la situation avec Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l'ESG Management School et maître de conférence à Science Po Paris et auteur de Atlas géopolitique d'Israël. Aspects d'une démocratie en guerre (Editions Autrement, coll. "Atlas/Monde", 2012).

"Entre le marteau et l'enclume"

Quelle position l’Egypte peut-elle vraiment adopter vis-à-vis d’Israël ?

L’Egypte et le pragmatique Mohamed Morsi (le président Egyptien, ndlr) se trouve entre l’enclume et le marteau. Le Hamas (au pouvoir à Gaza) n’est autre que la branche palestinienne des Frères musulmans (également au pouvoir en Egypte).

Donc vis-à-vis d’une opinion publique qui a très massivement voté pour les Frères musulmans et les différentes listes d’islamistes, Mohamed Morsi ne peut pas décemment donner l’impression qu’il abandonne les Palestiniens.

Il doit donc vitupérer Israël, montrer qu’il n’adopte pas la politique de complaisance qui était celle de son prédécesseur Hosni Moubarak (renversé lors de la révolution égyptienne en février 2011 et qui avait pour habitude de jouer un rôle de médiateur entre la Palestine et Israël, ndlr).

Un double discours est obligatoire

Le chef du Hamas Ismail Haniya (à droite) reçoit le Premier ministre égyptien Hicham Quandil (à gauche) à Gaza (16 novembre 2012)
Le chef du Hamas Ismail Haniya (à droite) reçoit le Premier ministre égyptien Hicham Quandil (à gauche) à Gaza (16 novembre 2012) © -

Et cependant Hicham Quandil, le Premier ministre égyptien, s’est rendu dans la bande de Gaza aujourd’hui pour jouer un rôle de médiateur, d’où l’impression d’un double discours.

D’un côté Mohamed Morsi ne peut pas faire autrement que de jouer son rôle d’homme politique musulman-conservateur favorable au Hamas et hostile à Israël, ou en tout cas défiant. Mais, de l'autre côté, il se trouve à la tête d’un pays dont la situation économique, stratégique et militaire ne laisse en aucun cas penser qu’il pourrait mener une guerre contre Israël.

Concrètement, sur le terrain, le soutien à Gaza peut se matérialiser par des suppléments d’aides alimentaires, humanitaires et techniques ou encore le maintien de l’intégralité des tunnels ouverts sous la frontière entre Gaza et l’Egypte.

Mohamed Morsi va, je pense, surtout en faire d’avantage sur le plan sémantique et rhétorique pour convaincre sa population qu’il aide vraiment Gaza. Vrai ou pas, peu importe, sur le plan diplomatique, il jouera plutôt un rôle de négociateur.

La guerre est donc totalement exclue ?

Totalement. Une guerre signifierait la perte de la manne américaine, qui représente quand même deux milliards d’euros chaque année, ainsi que la fin de l’entraînement de l’armée égyptienne par les Etats-Unis, le fin des livraisons d’équipements militaires, l’engloutissement de budgets gigantesques pour financer la guerre etc. Et tout cela sans allié, sans la Syrie, sans la Jordanie... Non, la guerre est inimaginable.

"Rapport de force stratégique écrasant en faveur d'Israël"

Pour en revenir aux relations entre Frères musulmans et Hamas, qui influence qui ?

Dans une situation de tension comme celle que connait la société égyptienne, on pourrait assister à des pressions intérieures extrêmement fortes, menées par le Hamas, pour exiger de Mohamed Morsi la rupture des relations diplomatiques avec Israël, ou la rupture du traité des accords de Camp David (signée en 1978).

Finalement, c’est l’Egypte qui craint Israël ou le contraire ?

Je dirais que la population égyptienne n’a pas peur d’Israël, mais à tort, car elle ne connaît pas le rapport de force stratégique, qui est écrasant en faveur d’Israël. La population égyptienne ne craint donc pas un engagement plus fort en faveur des Palestiniens.

La population israélienne, elle, connaît mieux le rapport de force. Elle sait qu’Israël ne risque réellement rien de l’Egypte, mais elle ne souhaite pas que la situation s’envenime. La paix avec l’Egypte est la plus ancienne et une des plus solides qu’Israël ait jamais connue dans la région... et la société israélienne redoute un isolement diplomatique, un sacrifice de temps, d’argent et d’énergie dans le cas d’une rupture de la paix.

Victor Garcia