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Egypte: pourquoi les Etats-Unis suspendent leur aide militaire

Des affrontements ont à nouveau éclaté au Caire, le 6 octobre, faisant plusieurs dizaines de morts.

Des affrontements ont à nouveau éclaté au Caire, le 6 octobre, faisant plusieurs dizaines de morts. - -

Les Etats-Unis ont annoncé, mercredi, la suspension provisoire de leur aide à l'Egypte, une première dans les relations entre les deux pays. Pourquoi une telle décision? Quelles peuvent être ses conséquences? Réponse en quatre points.

Les Etats-Unis ont finalement décidé de sanctionner l'Egypte, trois mois après la destitution de l'ancien président Mohamed Morsi. Mercredi, le département d'Etat américain (l'équivalent de notre Quai d'Orsay) a ainsi annoncé au nouvel homme fort du pays, le général Abdel Fattah al-Sissi, qu'une partie de l'aide annuelle au pays -principalement militaire- sera gelée dans l'attente de progrès démocratiques de la part du Caire.

Une menace que Washington brandissait depuis plusieurs mois, sans jamais la confirmer. BFMTV.com fait le point sur ce que représente cette mesure, une première dans les relations américano-égyptiennes.

> Que représente cette aide américaine?

L'aide annuelle fournie chaque année par les Etats-Unis à son allié égyptien se chiffre à 1,5 milliard de dollars, dont 1,3 milliard d'aide militaire. Parmi le matériel de guerre dont la livraison est suspendue se trouvent, entre autres, des hélicoptères Apache, des chasseurs F-16, des missiles Harpoon ou encore des pièces de chars d'assaut.

De l'équipement lourd valant plusieurs centaines de millions de dollars, selon les responsables américains, qui n'ont toutefois pas donné le montant précis de l'aide gelée.

> Pourquoi une décision si tardive ?

Intervenant bien après les soulèvements égyptiens de l'été, l'annonce des Etats-Unis a surpris tout le monde, tant il est vrai que les réactions des pays occidentaux à la destitution du président Mohamed Morsi, début juillet, avaient été plus que timides. "C'est sûr qu'il y a eu un petit retard à l'allumage. C'est toute la contradiction de la situation", observe Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques, spécialiste du Moyen-Orient, contacté par BFMTV.com.

"La plupart des gouvernements occidentaux avaient beaucoup hésité à qualifier l'intervention du général Sissi pour ce qu'elle était, c’est-à-dire un coup d'Etat. Il y a eu des circonvolutions, des condamnations feutrées, mais en réalité, personne n'a véritablement condamné", rappelle-t-il. De même, les Etats-Unis sont restés très silencieux quant à la répression envers les Frères musulmans, qui s'est soldée par de nombreux bains de sang et des arrestations de dirigeants.

> Comment expliquer cette suspension ?

Pourquoi ce revers soudain? De nouveaux affrontements entre pro et anti-Morsi ont éclaté ces derniers jours en Egypte, à l'occasion du 40e anniversaire de la guerre du Kippour, faisant 38 morts et plus de 200 blessés le 6 octobre. "Des images de la répression des manifestations ont été diffusées. On y voit des hélicoptères fournis par les Américains tirant sur des foules désarmées, ce qui fait un peu désordre", analyse Didier Billion.

"Le grand objectif d'Obama est de redorer le blason des Etats-Unis au Moyen-Orient. On ne peut donc pas prétendre défendre la démocratisation de la région et en même temps couvrir ces tirs depuis des avions américains. La contradiction est trop flagrante", poursuit le spécialiste. Autrement dit, gênés aux entournures, les Etats-Unis se seraient sentis forcés de réagir.

A cela s'ajoute l'ouverture, le 4 novembre prochain, du procès de Mohamed Morsi, et l'absence de perspective quant à la tenue d'élections, pourtant promises par Sissi au moment de la destitution de l'ancien président. "Les Etats-Unis, qui pensent à leur posture dans leur relation avec les pays du Moyen-Orient, cherchent à exercer une pression politique sur le gouvernement actuel. Cette suspension de l'aide se veut être un signal d'alarme aux militaires égyptiens pour l'organisation d'élections", explique Didier Billion.

> Une menace pour les relations américano-égyptiennes?

Ce geste des Etats-Unis, une première, ne devrait toutefois pas marquer de rupture entre le Caire et Washington. Il n'a d'ailleurs pas vocation à être permanent, ont indiqué eux-mêmes les responsables américains. Aussi, la suspension de l'aide pourrait être levée au premier effort affiché du gouvernement Sissi. "On sait bien que l'armée égyptienne a besoin de cette aide américaine, colossale, et ne pourra pas s'en dispenser. Washington tape donc où ça fait mal, c’est-à-dire au niveau de l'argent", ajoute Didier Billion.

"De leur côté, les Etats-Unis, même s'ils réprouvent les méthodes du gouvernement actuel, sont préoccupés par la dégradation de la situation sécuritaire dans le Sinaï, déjà engagée. Car c'est une zone où peuvent se regrouper des cellules terroristes, mais c'est aussi une zone stratégique, frontalière d'Israël", fait-il valoir.

Signe des précautions prises par Washington pour éviter tout incident diplomatique, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a précisé, ce jeudi, que les Etats-Unis "veulent continuer leur relation avec l'Egypte". "En aucune manière, il ne s'agit d'un retrait de notre relation ou d'une rupture de notre engagement à aider le gouvernement" égyptien, a-t-il ainsi indiqué, en marge d'un déplacement en Malaisie.

Adrienne Sigel