BFMTV
Algérie

Après la renonciation de Bouteflika, l'Algérie entre liesse et de scepticisme

Des Algériens expriment leur joie dans les rues d'Alger, le 11 mars 2019, après le renoncement d'Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat.

Des Algériens expriment leur joie dans les rues d'Alger, le 11 mars 2019, après le renoncement d'Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. - Ryad Kramdi - AFP

Si la renonciation du vieux président à briguer un cinquième mandat a immédiatement rassuré l'ensemble de la population algérienne, le report de l'élection, lui, suscite déjà une forme de doute et d'inquiétude.

La une de El Watan de ce mardi 12 mars résume bien tous les paradoxes de la situation à Alger: "Il annule la présidentielle mais reste au pouvoir: la dernière ruse de Bouteflika". Après avoir assisté coup sur coup à la renonciation du chef d'État à briguer un cinquième mandat et au report de l'élection présidentielle, les Algériens ont été saisis à la fois par la joie et le scepticisme.

Des émotions contradictoires qui ont beaucoup pesé sur la nuit d'euphorie populaire qu'ont connu les grandes villes du pays de lundi à mardi. Dès l'annonce, des centaines de personnes enveloppées du drapeau algérien ont fêté l'événement, tandis que s'élevait un concert de klaxons dans les rues.

"Nos manifestations ont porté leur fruit! Nous avons eu raison des partisans d'un cinquième mandat", s'est exclamé un chauffeur de taxi interrogé par Reuters.

Mais si les Algériens, qui manifestent en masse depuis le 22 février, ont en effet vu leur principale demande exaucée par le pouvoir, ils sont également abasourdis par la décision d'Abdelaziz Bouteflika de rester à son poste le temps d'organiser une élection.

Les manœuvres du clan Bouteflika

Le président, âgé de 82 ans et quasiment disparu des médias depuis son accident vasculaire cérébral de 2013, a fait savoir que la date du scrutin serait fixé lors d'une conférence nationale "inclusive et indépendante". Son mandat actuel ira donc vraisemblablement au-delà de son expiration, prévue le 28 avril prochain. 

Abdelaziz Bouteflika a par ailleurs nommé le ministre de l'Intérieur Nourredine Bedoui au poste de Premier ministre et l'a chargé de former un nouveau gouvernement. Il sera secondé par le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, qui a été nommé vice-Premier ministre - un poste qui n'existe pas dans la Constitution.

Ces nominations donnent aux Algériens le sentiment que le Front de libération nationale (FLN), parti au pouvoir en Algérie depuis son indépendance, verrouille une fois de plus le système. 

"Le clan Bouteflika est en train de manœuvrer une énième fois. On nous dit que c’est un renoncement mais non, c’est une prolongation. (...) Le clan présidentiel veut gagner un an pour placer encore un de leurs hommes", a déclaré Samir Yahiaoui, membre du mouvement d'opposition Ibtykar, à France 24. Il évoque une "manipulation grossière". 

"Non à l'arnaque du peuple"

Sur les réseaux sociaux pullulent désormais des messages de mise en garde. "Non à l'arnaque du peuple, rendez-vous le 15 mars", lit par exemple un mot d'ordre de manifestation, pour un quatrième vendredi consécutif. Des internautes appellent également à la tenue d'une "marche de l'affirmation et de la consolidation".

"J'ai d'abord sauté de joie en entendant les premières annonces à la télévision mais ce que j'apprends après me donne froid dans le dos", écrit sur sa page Facebook Latifa Ben, une enseignante à la retraite.
"Les amis VICTOIRRRRRRRRRR", écrit dans un premier temps Akli Ourad, ingénieur en Travaux Publics. Avant de se raviser: "finalement, ce subterfuge est conçu pour obtenir une année supplémentaire pour organiser la réincarnation du pouvoir mafieux. Vigilance! Vigilance!"

Aucune base constitutionnelle

Le site TSA appelle aussi à la vigilance. "Les Algériens doivent se montrer vigilants pour ne pas se faire confisquer leur belle et joyeuse révolution qui commence à émerveiller le monde", écrit-il.

Dans un tweet, l'ex-diplomate et ancien ministre de la Culture (1998-1999) Abdelaziz Rahabi estime que "le président Bouteflika se moque du peuple (...) Son acharnement à rester au pouvoir va pousser le pays vers l'inconnu et est un danger pour la stabilité de l'Etat et l'unité du pays".

"Il n'y aura pas de cinquième mandat" et "il n'y aura pas d'élection présidentielle le 18 avril prochain", a annoncé le président, au lendemain de son retour en Algérie, après deux semaines d'hospitalisation en Suisse officiellement pour des "examens médicaux".

Aucun texte - Constitution ou loi - n'est invoqué dans le message de Abdelaziz Bouteflika pour reporter la présidentielle. Pour la spécialiste de droit constitutionnel Fatiha Benabou, professeur à l'Université d'Alger, "il n'y a pas de base légale pour reporter les élections". "En cas de crise politique, la Constitution algérienne est partiellement ineffective", estime-t-elle.

Jules Pecnard avec AFP