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A Paris, des Algériens partagés sur un rôle de la France dans la crise

Des Algériens manifestent contre une cinquième candidature d'Abdelaziz Bouteflika. (Photo d'illustration)

Des Algériens manifestent contre une cinquième candidature d'Abdelaziz Bouteflika. (Photo d'illustration) - Gérard Julien - AFP

L'Elysée suit discrètement la grogne des Algériens contre une cinquième candidature d'Abdelaziz Bouteflika, entre devoir de réserve et crainte d'instabilité.

La France doit-elle jouer un rôle dans la crise inédite qui secoue l'Algérie? A Paris, si les jeunes Algériens voient dans la France un "espoir", les plus âgés, marqués par le passé colonial, craignent un "piège".

Au lendemain du dépôt officiel de la candidature d'Abdelaziz Bouteflika, la diaspora algérienne, qui s'est rassemblée par milliers deux dimanches d'affilée place de la République à Paris pour dire "non" à un cinquième mandat du président de 82 ans, scrute attentivement une éventuelle réaction des autorités françaises.

"Où est la France?", s'interroge à voix haute Mehdi, Franco-Algérien de 28 ans. Attablé à la terrasse d'un café du nord de Paris, le jeune homme, qui ne donne pas son nom de famille par peur de "représailles" sur sa famille "au bled", dit son "dégoût" pour "cette mafia sans foi ni loi" au pouvoir en Algérie et espère "une réaction forte" de Paris.

"On nous bassine toute la journée sur la patrie des droits de l'Homme mais quand il faut agir, y a plus personne", dénonce-t-il auprès de l'AFP. "Quand c'est le Venezuela, là c'est Macron lui-même qui intervient", abonde Samira, Franco-Algérienne de 32 ans.

Début février, Emmanuel Macron avait annoncé que la France reconnaissait l'opposant Juan Guaido comme "président en charge" du Venezuela, après l'expiration d'un ultimatum à Nicolas Maduro qui avait refusé de convoquer une nouvelle élection présidentielle.

"La France est condamnée au silence"

"La France est condamnée au silence. Si elle soutenait les manifestants, comme elle l'a fait au Venezuela, cela serait considéré comme de l'ingérence inacceptable pour l'Algérie. Si au contraire elle soutenait le régime, elle serait accusée de complicité", analyse sur BFMTV notre éditorialiste international Ulysse Gosset.

Le sujet est sensible, comme en témoigne la réaction de Lounès, 67 ans, un Algérien originaire de Kabylie lui aussi interrogé par l'AFP. A entendre parler Mehdi et Samira, il s'étrange presque et fait irruption dans la conversation: "C'est une affaire qui concerne le peuple algérien, pas la France !", s'insurge-t-il.

Cet homme, qui raconte avoir encore en mémoire la guerre d'indépendance (1954-1962), refuse toute "ingérence" de la part de l'ancienne puissance coloniale. "Il faut savoir ce que l'on veut parce qu'on ne peut pas d'un côté vouloir notre indépendance et de l'autre, dès qu'il y a un problème, attendre que la France nous livre la solution", dit-il en s'adressant à Mehdi.

"La question c'est: est-ce qu'on peut faire confiance à un pays qui promettait le savoir-faire français dans le maintien de l'ordre à Ben Ali (l'ex-président tunisien chassé par la rue en 2011)?", glisse Toufik, venu avec Lounès. Retraité de l'Education nationale algérienne, cet homme aux cheveux grisonnants, originaire des Aurès, ne mâche pas ses mots contre le pouvoir à Alger, "des voleurs", mais voit d'un mauvais oeil toute intervention française.

"Pour moi, la France et l'Algérie ont des intérêts opposés. La France veut de la stabilité, ce que lui apporte le régime actuel, et les Algériens veulent un avenir, du travail... du changement", assure-t-il auprès de l'AFP. "Il n y a rien à attendre de la France. Pour moi, c'est un piège dans lequel il ne faut pas tomber", affirme pour sa part Lounès.

Une situation suivie de très près

"La France est condamnée à une forme d'abstention, mais néanmoins elle suit de très près la situation en Algérie", résume notre éditorialiste Ulysse Gosset. "Il y a même eu un communiqué officiel qui indique que 'l'élection a vocation à donner à l'Algérie l'impulsion nécessaire pour faire face aux défis et répondre aux aspirations de sa population'", poursuit-il.

"C'est une façon quand même de dire qu'il faut écouter ce que le peuple algérien a à dire, et en même temps c'est très délicat compte tenu des relations qui existent entre Paris et Alger depuis l'époque coloniale", souligne l'éditorialiste. "On fait très attention, on marche sur des oeufs car on sait que les conséquences d'une déstabilisation en Algérie seraient évidemment extrêmement graves", soulève-t-il.

La France s'inquiète avant tout des possibles répercussions d'une déstabilisation de ce pays-continent de 41 millions d'habitants. Avec sa frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec le Mali, le Niger et la Libye, l'Algérie est un acteur clé dans la lutte contre le jihadisme au Sahel.

Liv Audigane avec AFP