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2011: catastrophe au Japon, l'atome vacille dans le monde

Le séisme du 11 mars au Japon, d'une puissance inégalée jusqu'à lors, provoque un tsunami d'une ampleur vertigineuse qui vient s'abattre sur la côte nord-est de l'archipel. La vague atteint par endroits trente mètres de hauteur et emporte tout sur son pas

Le séisme du 11 mars au Japon, d'une puissance inégalée jusqu'à lors, provoque un tsunami d'une ampleur vertigineuse qui vient s'abattre sur la côte nord-est de l'archipel. La vague atteint par endroits trente mètres de hauteur et emporte tout sur son pas - -

par Bertrand Boucey PARIS (Reuters) - Un séisme, un tsunami puis un accident nucléaire. Le 11 mars, une triple catastrophe frappe le Japon et son...

par Bertrand Boucey

PARIS (Reuters) - Un séisme, un tsunami puis un accident nucléaire. Le 11 mars, une triple catastrophe frappe le Japon et son onde de choc se propage bien au-delà des rives de l'archipel.

Outre les 20.000 morts et disparus, outre des dégâts se chiffrant en dizaines de milliards d'euros, la crise survenue à la centrale de Fukushima-Daiichi provoque une remise en cause internationale de l'énergie nucléaire, certains pays, tels l'Allemagne, décidant même d'y renoncer brusquement.

Ce 11 mars, à 14h46, un tremblement de terre d'une puissance jamais enregistrée au Japon ébranle le nord-est de l'archipel. Le pays est habitué aux séismes et il a adapté ses infrastructures à ce risque. Mais cette secousse de magnitude 9 est déjà à elle seule dévastatrice et meurtrière. Survenue en mer, elle déclenche en outre un tsunami qui s'abat bientôt sur les côtes nippones, celles des préfectures de Miyagi, d'Iwate et de Fukushima notamment.

Le mur d'eau dépasse à certains endroits 30 mètres de hauteur, selon les médias japonais. Il emporte tout sur son passage, bateaux, voitures, bâtiments, et pénètre de plusieurs kilomètres à l'intérieur des terres. Des villes entières sont rasées. Lorsque la mer se retire enfin, elle laisse derrière elle un paysage dévasté, rappelant au président de la Croix-Rouge japonaise, Tadateru Konoe, le spectacle de désolation au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Par des températures glaciales, des dizaines de milliers de Japonais se retrouvent sans toit, contraints de se masser autour d'appareils de chauffage dans des abris installés le long de la côte. Plus nombreux encore sont les foyers privés d'électricité et d'eau courante. L'aide leur parvient difficilement en raison des dégâts subis par le réseau routier.

LE PLUS GRAVE ACCIDENT NUCLÉAIRE DEPUIS TCHERNOBYL

Le cauchemar n'est pourtant pas encore terminé. Au déchaînement imprévisible de la nature succède la plus grave catastrophe nucléaire survenue dans le monde depuis Tchernobyl 25 ans plus tôt.

Bâtie au bord de l'océan Pacifique, à 240 km au nord de Tokyo, la centrale de Fukushima-Daiichi est elle aussi inévitablement frappée par le séisme et le tsunami. Dans les heures et les jours qui suivent la double catastrophe naturelle, des explosions retentissent sur le site et de la fumée s'élève au-dessus de la centrale. Son circuit de refroidissement est endommagé, ses réacteurs entrent en fusion et des rejets radioactifs empêchent toute intervention sur place.

Le gouvernement impose une zone d'exclusion d'un rayon de 20 km autour de la centrale, entraînant l'évacuation de 80.000 habitants dont beaucoup, dans cette région rurale, vivaient de l'exploitation de la terre ou de la pêche.

Au cours d'une allocution télévisée sans précédent, l'empereur Akihito exprime sa profonde préoccupation.

Au Japon comme à l'étranger, les critiques pleuvent sur le gouvernement, l'autorité de sûreté nucléaire et la compagnie électrique de Tokyo (Tepco), qui exploite la centrale, accusés de collusion, de minimiser la situation et de manquer de transparence dans leur gestion de la crise. Les causes mêmes de l'accident - le tsunami ou l'insuffisance des normes antisismiques - continuent de faire débat en cette fin d'année.

Avec l'aide notamment des groupes français Areva, numéro un mondial du secteur nucléaire, et EDF, Tepco parvient progressivement à reprendre le contrôle de la situation, évitant ainsi - au moins provisoirement - que des matières radioactives entrées en fusion ne se dispersent dans le sol et les nappes phréatiques.

Mais même si "l'arrêt à froid" des réacteurs est présenté comme une étape essentielle, les conséquences de cette catastrophe nucléaire dureront encore longtemps: le combustible dans les réacteurs ne pourra probablement pas être retiré avant une dizaine d'années; la décontamination de la centrale pourrait prendre des décennies; des terres agricoles sont durablement condamnées et le ministère japonais de l'Environnement s'attend à devoir nettoyer 2.400 km2 de sol superficiel, soit quasiment la superficie du Luxembourg, avant d'envisager un retour des habitants évacués.

UNE REMISE EN CAUSE INTERNATIONALE

L'accident de Fukushima frappe les esprits dans le monde entier et il relance aussitôt le débat sur la dangerosité de l'énergie nucléaire. Pour les opposants à l'atome, la catastrophe au Japon apporte la preuve évidente que la production nucléaire est porteuse de risques démesurés.

Premier concerné, d'autant qu'il est déjà le seul pays au monde à avoir subi les ravages d'un bombardement nucléaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon ne renonce cependant pas à l'atome civil mais décide de renforcer la part des énergies renouvelables dans sa production électrique. Selon des sondages réalisés dans les semaines suivant la catastrophe, trois quarts des Japonais se prononcent pour une sortie progressive du nucléaire.

En Allemagne, le gouvernement d'Angela Merkel effectue un revirement complet. Quelques mois après avoir décidé de prolonger la durée de vie des plus anciennes centrales du pays, il propose brusquement en mai de fermer d'ici 2022 tous les réacteurs d'Allemagne. L'opposition est associée à cette décision, approuvée ensuite par le parlement.

Fin mai toujours, le Conseil fédéral en Suisse décide d'abandonner progressivement l'énergie nucléaire avec la fermeture de la dernière centrale envisagée en 2034.

Deux semaines plus tard, lors d'un référendum, les Italiens se prononcent à une écrasante majorité, avec près de 95% des voix, contre une relance du programme nucléaire civil.

Fin octobre, les partis politiques belges négociant un accord de gouvernement s'entendent sur une sortie complète du nucléaire d'ici 2025, à condition de trouver des sources énergétiques de substitution pour éviter des pénuries.

En France en revanche, le gouvernement exclut tout abandon du nucléaire. En vue de l'élection présidentielle du printemps prochain, il en fait même un argument de campagne face au Parti socialiste, accusé de "brader" une filière d'excellence française et des milliers d'emplois contre un accord législatif avec les Verts.

Nicolas Sarkozy multiplie les déplacements auprès des acteurs de la filière pour fustiger la peur "irrationnelle" et "moyenâgeuse" entretenue selon lui par les opposants au nucléaire, jugés hostiles à "l'idée même de progrès".

La négociation de l'accord entre socialistes et écologistes suscite en outre de vives tensions entre les deux camps mais aussi au sein d'Europe-Ecologie-Les Verts. Cet accord prévoit de réduire de 75% à 50% d'ici 2025 la part du nucléaire dans la production d'électricité en France, ce qui conduit la candidate écologiste à la présidentielle, Eva Joly, qui exigeait un abandon du nucléaire, à manifester son mécontentement en observant une cure de silence.

Comme d'autres pays européens, la France lance tout de même un audit sur ses 58 réacteurs. L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en conclut qu'aucune raison de sécurité ne justifie la fermeture éventuelle du moindre réacteur, tout en invitant à un renforcement des protections de ces installations. Les antinucléaires dénoncent le paradoxe de ce double constat, preuve, selon eux, de l'aveuglement des autorités.

Pour illustrer leurs craintes, des militants de Greenpeace parviennent en décembre à pénétrer dans plusieurs centrales. Dans celle de Nogent-sur-Seine, ils réussissent à déployer sur le dôme d'un réacteur une banderole proclamant "Le nucléaire sûr n'existe pas".

Au niveau international, les 151 Etats membres de l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA) n'ont pu se mettre d'accord que sur un plan non contraignant de renforcement de la sécurité des centrales nucléaires.

édité par Henri-Pierre André