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Environnement

TOUT COMPRENDRE - Comment les eaux usées britanniques se retrouvent-elles dans la Manche?

Un conduit de déversement des eaux usées sur le porc de Brighton (Royaume-Uni), le 6 décembre 2021.

Un conduit de déversement des eaux usées sur le porc de Brighton (Royaume-Uni), le 6 décembre 2021. - Daniel LEAL / AFP

Depuis plusieurs semaines, 15.000 conduits d'eaux usées britanniques se déversent directement dans la Manche et la mer du Nord, provoquant l'indignation et l'inquiétude.

Un "scandale national" qui traverse les frontières britanniques et termine dans la nature. Le phénomène n'est pas récent mais semble s'être accentué ces dernières semaines: les eaux usées britanniques se déversent en grande quantité dans la Manche et la mer du Nord.

Mercredi 24 août, l'ONG Surfers Against Sewage a pris la parole dans la presse anglaise, estimant à près de 90 les plages du Royaume-Uni souillées par les eaux usées et devenues tout simplement impratiquables. L'affaire a pris une nouvelle tournure avec la publication d'un communiqué commun de trois eurodéputés français, dont l'ancienne ministre Nathalie Loiseau, pour interpeller le gouvernement britannique et la Commission européenne à ce sujet.

· Que se passe-t-il exactement?

Au Royaume-Uni, le système d'assainissement national transporte les eaux de pluie et les eaux usées dans les mêmes canalisations, en direction des stations d'épuration. Problème: en cas de fortes intempéries et de pluies diluviennes, le réseau est saturé, ce qui a notamment été le cas la semaine dernière outre-Manche.

Dans cette situation précise et afin d'éviter les inondations, il est temporairement autorisé de déverser directement les eaux usées dans la mer et les rivières alentours. Résultat: 15.000 conduits d'eaux usées finissent directement dans la Manche et la mer du Nord depuis quelques semaines.

Le problème, c'est que les compagnies britanniques abusent régulièrement de ces autorisations. L'an passé, la société Southern Water a été condamnée à une amende record de 90 millions de livres sterling - plus de 100 millions d'euros - pour avoir déversé des milliards de litres d'eaux usées non traitées directement dans la mer dans le West Sussex, le Kent et le Hampshire, trois comtés du sud de l'Angleterre.

Le déversement de l'eau polluée dans l'eau ne semble plus rien avoir d'exceptionnel, et la BBC rapportait il y a quelques jours les nombreux défauts de surveillance des services côtiers, dont les systèmes n'auraient pas été installés ou ne fonctionneraient pas correctement "90 % du temps". Une situation qui laisse donc le champs libre pour déverser les eaux usées dans la nature.

· Quelles sont les réactions en France?

Pour certains, cette situation s'est même aggravée depuis le Brexit. C'est notamment l'avis du président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand qui a évoqué la semaine dernière une "catastrophe écologique" auprès du secrétaire d'Etat français à la Mer, Hervé Berville.

Si cette situation "déjà dénoncée par de nombreuses associations n'est pas nouvelle, elle semble s'aggraver depuis le Brexit, dans la mesure où le Royaume-Uni s'est exonéré de réglementations européennes en matière environnementale", a-t-il déclaré dans un courrier transmis à la presse.

Trois eurodéputés français, dont l'ancienne ministre Nathalie Loiseau, ont également interpellé le gouvernement britannique et la Commission européenne, pour chercher des mesures "politiques et juridiques" contre cette pollution.

La Commission européenne a finalement assuré qu'elle répondrait bientôt aux plaintes concernant le déversement de ces eaux usées.

"Nous comptons sur le Royaume-Uni pour honorer toutes ses obligations légales (...) afin de prévenir tout dommage sanitaire et environnemental", a tweeté vendredi le commissaire à l'Environnement Virginijus Sinkevicius.

· Quelles sont les conséquences potentielles pour la santé?

Car les effets de ce déversement pourraient se révéler dramatiques. En janvier dernier déjà, le journal Le Monde évoquait les inquiétudes des baigneurs concernant le déversement d'eaux usées dans la mer à Whitstable, dans le nord-est du Kent, en Angleterre. La baignade dans une mer contaminée peut provoquer diverses maladies, des infections de l'estomac, des yeux, la transmission de bactéries telles que l'e-Coli, la salmonelle ou l'hépatite A.

"Nager dans de l'eau contaminée par les eaux usées peut vous exposer à de nombreuses bactéries et virus nocifs", explique le Dr Samuel Jones du Queen Mary's Hospital.

Au total, environ 90 plages britanniques, de Bognor Regis dans le West Sussex à Swanage dans le Dorset, ont été polluées par les eaux usées au cours du mois dernier selon l'organisation environnementale Surfers Against Sewage. Et nombreuses sont les municipalités à avoir fait le choix de fermer leur plage pour des raisons sanitaires.

Outre la baignade, c'est aussi toute une économie qui est menacée par ces eaux: celle de la pêche. Jusque sur les côtes françaises, les pêcheurs s'inquiètent de voir leur poisson potentiellement contaminé par la pollution.

· Comment les autorités britanniques comptent-elles régler le problème?

Face à ces inquiétudes diverses, Londres a fini par prendre la parole. Samedi 27 août, le gouvernement a annoncé sa volonté de réduire à zéro les rejets en mer d'eaux usées non traitées d'ici à 2050, en passant par des investissements colossaux. Les compagnies des eaux devront notamment investir quelque 56 milliards de livres (66 milliards d’euros) pour rénover les systèmes d'égouts dans le pays.

Pour le ministre de l'Environnement britannique George Eustice interrogé par la radio BBC4, il s'agit de "révolutionner nos réseaux d'égouts", évoquant "un héritage de l'infrastructure victorienne" du XIXe siècle.

Selon lui, le gouvernement britannique actuel, dont les fonctions prendront bientôt fin avec le départ de Boris Johnson, est "le premier à s’attaquer sérieusement à ce dossier".

"La raison pour laquelle cette décision a été repoussée par des gouvernements successifs, aussi bien travaillistes que conservateurs, pendant des décennies, est que l’on a voulu que les factures d’eau restent basses, et on peut le comprendre", a-t-il estimé.

D'ici à 2035, les compagnies de distribution des eaux devront avoir rénové les conduits qui se déversent à proximité de zones de baignade, et au plus tard en 2050 pour les autres. Pour payer ce plan, les consommateurs devront payer dans un premier temps 12 livres par an et par foyer en plus... Un coût qui s'élèvera à 42 livres à l'horizon 2050.

L'opposition libérale-démocrate a qualifié ce plan gouvernemental de "cruelle plaisanterie" et estimé qu'il y aurait toujours 325.000 déversements d'eaux usées par an en 2030, dans la mer, des lacs ou des cours d'eau.

Louis Augry