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Environnement

Fuite d'un agent toxique dans la Méditerranée: quels sont les risques?

Paul Poulain, spécialiste en sécurité incendie et dans la maîtrise des risques industriels, affirme que cette fuite est un "cas d'école". Il nous explique les risques environnementaux et sanitaires liés à ce sinistre.

36 heures après la fuite d’un agent chimique corrosif dans un complexe pétrochimique à Martigues (Bouches-du-Rhône), le groupe industriel Kem One affirme ce vendredi que “la situation [est] désormais maîtrisée”. Le résultat des prélèvements réalisés plus tôt dans la journée par les sapeurs-pompiers sur la nappe sera connu d’ici la fin de journée. Les conséquences de l’incident sont, pour l’heure, encore inconnues.

Paul Poulain, spécialiste en sécurité incendie et dans la maîtrise des risques industriels chez Cyrus Industrie - également militant pour un Mouvement pour une Écologie Populaire et Sociale, explique à BFMTV.com les risques environnementaux et sanitaires qu’engendrent ce type d’incidents.

> Le produit qui a fuité du complexe pétrochimique Lavéra, du groupe industriel Kem One, est-il dangereux?

"Il s’agit de chlorure de fer, une substance classée dans les Directives Européennes comme toxique. Le site de la plateforme Lavéra, où s’est produit l’incident, appartient aux 1500 sites classés Seveso, car il est classé, au même titre que l’usine Lubrizol, comme un site industriel dangereux.

Ce type de pollution, d’abord localisée sur quelques hectares, s’étale rapidement. Les métaux resteront toujours présents dans l’eau, même à des niveaux infinitésimaux: leur minéralisation totale comme pour les pesticides n'est pas faisable car ils sont solubles dans l'eau. Au passage, cela ajoute de la pollution à une mer par ailleurs déjà très touchée par la problématique des microparticules de plastique."

> Quels risques la fuite présente-t-elle pour les êtres vivants?

"D’abord, la fuite constitue un risque important pour la population aquatique. L’impact de ce type de métal sur les poissons va durer pendant plusieurs jours. Les analyses des sapeurs-pompiers permettront d’établir si la mer dépasse les standards autorisés concernant les quantités de chlorure de fer, mais aussi jusqu’où la pollution pourrait s’étaler.

En attendant, il est évident que l’Homme ne doit pas consommer de poissons provenant de la zone car cela présente un risque de développer des cancers. De même, il faut respecter l’arrêté qui interdit la baignade et la plongée sous-marine. La population de la Fos-sur-Mer, proche de nombreux sites Seveso, est déjà trois fois plus touchée par le cancer que le reste de la France à cause des différents rejets de ces usines dans leur activité quotidienne."

> Y-a-t-il eu, selon vous, un problème de contrôle sur le site?

"La plateforme Lavera n’a jamais eu de gros accidents à ma connaissance, mais elle est connue pour produire des rejets qui, comme je l’expliquais plus haut, favorisent les cancers au sein de la population résidant à proximité. Concernant les inspections, les sites Seveso sont soumis à de nombreuses visites, contrairement aux sites non Seveso.

Mais cette fuite est un cas d’école, puisque le groupe industriel Kem One a été mis en demeure deux fois en 2019: la première pour ne pas avoir actualisé son étude de danger, la seconde pour la non-mise en œuvre de mesures de protection de ses stockages de chlore. Pour autant, il n’y a eu aucune fermeture d’usine ordonnée par les autorités."

> Lubrizol, Kem One… Assiste-t-on à une hausse des accidents technologiques?

"Depuis plusieurs années, nous assistons à une multiplication des accidents technologiques. Le Bureau d'analyse des risques et pollutions industriels (BARPI) en comptait 827 en 2016 et 1098 en 2019. La désorganisation des industriels à cause du coronavirus devrait encore aggraver la situation.

Surtout, en dehors des sites SEVESO, les 10 dernières années, nous sommes passés de 226 accidents en 2010 à 370 en 2019, soit une augmentation de 63%. Face à l’actuelle politique de réindustrialisation du territoire, il est urgent de mettre les moyens pour mieux protéger nos sites."

Esther Paolini Journaliste BFMTV