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Foot sur la banquise, colonie de manchots: la vie dans une base en Antarctique

La base scientifique française Dumont-d'Urville située sur l'île des Pétrels, en terre Adélie, en Antarctique, photographiée en 2020

La base scientifique française Dumont-d'Urville située sur l'île des Pétrels, en terre Adélie, en Antarctique, photographiée en 2020 - Charlène Garau pour BFMTV

Un météorologue et une chimiste qui ont passé un an dans la base française Dumont-d'Urville, en Antarctique, racontent à BFMTV.com leur quotidien polaire hors norme.

Ces scientifiques ont vécu un an coupés du reste du monde, sans ravitaillement possible, dans une base française en Antarctique. Et ont passé l'hiver avec pour seule compagnie une colonie voisine de manchots empereur. Deux de ces aventuriers racontent leur glaciale expérience à BFMTV.com.

-30°C voire au-delà

François Gourand, prévisionniste chez Météo France, est parti deux fois en mission sur la base Dumont-d'Urville, en terre Adélie - l'un des cinq districts des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf). La première il y a dix ans et la seconde l'hiver dernier.

Pour s'y rendre, il faut compter entre huit et dix jours - le plus long étant le voyage de cinq jours pour parcourir les 2700 km entre la Tasmanie et le continent Antarctique sur un navire brise-glace. Sans compter les aléas de la météo. "Il est déjà arrivé que le bateau reste deux ou trois semaines prisonnier de la banquise, assure-t-il à BFMTV.com. Il y a une phrase qu'on dit toujours: 'en Antarctique, pas de pronostic'."

Des morceaux de banquise en Antarctique, en 2020
Des morceaux de banquise en Antarctique, en 2020 © Charlène Garau pour BFMTV

Car le climat y est évidemment très hostile. Pas âme qui y vive à l'exception des personnels des 78 bases scientifiques internationales. En été - entre novembre et février - quand la nuit n'existe pas, au mieux, il fait entre -1 et +7°C. Mais en hiver, le mercure peut tomber à -30°C, voire au-delà.

Le vent glacial associé aux tempêtes de neige et au faible ensoleillement rendent les conditions de vie difficiles. "En hiver, il ne fait pas vaiment jour. Vous pouvez avoir un soleil rasant pendant deux heures. C'est comme s'il ne se levait jamais." Mais c'est notamment pour ces conditions hors normes que François Gourand a souhaité y retourner.

"L'hiver, quand le vent tombe et qu'il y a une lumière claire, tout est calme. Avec le soleil rose, c'est une ambiance magique. Il y a des moments de grâce et puis dans les moments plus durs, on se sert les coudes."
Un coucher de soleil sur la banquise en 2020
Un coucher de soleil sur la banquise en 2020 © Charlène Garau pour BFMTV

Ramper face au vent

Chaque "hivernage" - c'est ainsi que se nomment les missions - compte entre 20 et 25 personnes de différents corps de métier à Dumont-d'Urville: météorologue, médecin (la base abrite un petit hôpital capable d'assurer des opérations d'urgence), ornithologue (c'est d'ailleurs sur cette base que La Marche de l'empereur a été tournée il y a près de vingt ans), chimiste, sismologue, informaticien, boulanger - pain frais tous les jours et viennoiseries le dimanche - cuisinier mais aussi menuisier, plombier, électricien ou encore mécanicien. La présence de ces derniers est essentielle pour veiller au bon fonctionnement du cœur de la base: la centrale, qui produit l'eau douce, l'électricité et le chauffage.

Pendant sa mission, François Gourand (qui a relaté son séjour sur un blog) avait pour charge de réaliser tous les jours les prévisions météo de la zone mais aussi de lâcher un ballon-sonde pour relever des données sur la température, le vent ou l'humidité. "Connaître la météo, là-bas, c'est essentiel, explique le météorologue. Vous pouvez sortir d'un bâtiment (la base en compte plusieurs séparés les uns des autres, NDLR) et vous retrouver dans le blizzard avec des rafales à 170 ou 180 km/h face à une congère de 2 mètres qu'il faut escalader."

La banquise en Antarctique en 2020
La banquise en Antarctique en 2020 © Charlène Garau pour BFMTV

Alors pour prendre ses repas ou aller se coucher, il faut s'habiller comme pour une expédition polaire: avec masque, gants, sous-gants, vêtements adaptés au grand froid et lampe frontale. "Parfois, on marche en crabe. On s'accroche à la rambarde pour ne pas que le vent nous plaque au sol. Certains se sont même retrouvés à avancer à quatre pattes ou à ramper. On réfléchit à deux fois avant de sortir pour ne rien oublier. Ça fait partie du charme."

Pendant huit mois, les hivernants sont donc seuls, coupés du monde. Les cinq rotations annuelles de l'Astrolabe, le navire brise-glace français, n'ont lieu qu'en été. En hiver, impossible pour un bateau ou un avion d'y accéder. Les hivernants ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

"Si quelqu'un était en danger, on essaierait de faire poser un avion, mais ce n'est pas sûr que ce soit possible, la visibilité est mauvaise, on pourrait nous dire 'attendez une semaine'. Les blessures les plus fréquentes, ce sont les chutes à cause du sol glissant. Il y a déjà eu des poignets cassés et des plâtres posés. Mais on sait dans quoi on s'engage, c'est un peu le côté excitant."

Ice bar et JO de l'Antarctique

En ce qui concerne les loisirs, ils sont adaptés au contexte polaire. Parties de foot ou de rugby sur la banquise, ou construction d'un ice bar dans une congère. "On a tenu à 15 dedans, on avait même prévu des endroits pour poser des verres", se souvient François Gourand avec un certain plaisir. L'ice bar a tenu une semaine.

"Après, il y a eu une tempête de neige qui a bouché l'entrée et on ne l'a pas entretenu. Mais cinq mois après, à l'été, quand la dameuse est venue raser les congères, la cavité était encore là."

L'une des animations de l'hiver: l'organisation des jeux australiques. Des épreuves sportives organisées dans les salles de sport des quatre district français des Taaf (avec Crozet, Kerguelen, et Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam): rameur, vélo, gainage, fléchette, billard et danse. Cette dernière épreuve a d'ailleurs été "brillamment" remportée par Dumont d'Urville lors de la dernière édition. "Ça créé une petite émulation", s'en amuse François Gourand.

La chimiste Charlène Garau en compagnie de manchots empereur en Antarctique, en 2020
La chimiste Charlène Garau en compagnie de manchots empereur en Antarctique, en 2020 © Charlène Garau pour BFMTV

C'est la chimiste Charlène Garau qui a été chargée, en plus de ses activités scientifiques, de concevoir la chorégraphie. Elle aussi faisait partie de l'expédition. Elle garde de sa mission le souvenir d'une aventure humaine hors du commun. "C'est un peu comme si on faisait partie de la même famille", confie-t-elle à BFMTV.com.

La jeune femme a fêté ses 30 ans à Dumont-d'Urville, avec une tarte au citron spécialement commandée et réalisée par le cuisinier. Les anniversaires sont aussi souvent l'occasion de s'offrir des présents et souvenirs, réalisés sur place, avec les moyens du bord - en l'occurrence des petits manchots en bois pour la chimiste.

Un festival de Cannes de l'Antarctique

L'autre grand événement de l'hiver à Dumont-d'Urville, c'est le festival international du film antarctique auquel participe une quarantaine de bases internationales. "Il y a beaucoup de catégories, comme à Cannes", en rit François Gourand.

Chaque base doit ainsi réaliser deux films: le premier est libre, le second comporte cinq contraintes. Dont, pour cette édition, la phrase "you stay a little longer baby", un brancard, le bruit d'une claque humide, un dîner de groupe et Bruce Lee. Le drôle de scénario - Bruce Lee détourné en marque de muesli - ficelé, tourné et monté en 48 heures a permis aux Français de Dumont-d'Urville de décrocher le prix de la meilleure utilisation de ces contraintes. Un site consacré permet de visionner tous les films tournés par les participants.

"À cette période de l'année, il n'y a que quatre heures de jour, se souvient Charlène Garau. Ça laissait peu de créneaux pour tourner, notamment en extérieur."
Des manchots empereur et leurs poussins photographiés en 2020 en Antarctique
Des manchots empereur et leurs poussins photographiés en 2020 en Antarctique © Charlène Garau pour BFMTV

Pendant son année en Antarctique - qu'elle a elle aussi détaillée sur un blog - elle était chargée d'effectuer des prélèvements d'air, de neige et de mesurer la hauteur de neige pour des laboratoires qui travaillent sur les conditions météorologiques, l'atmosphère et le climat en Antarctique. Le silence l'a beaucoup marquée. "Quand vous vous éloignez un peu de la base, sur la banquise, s'il n'y a pas de vent, le silence est inégalable." Quant au spectacle des paysages, qu'elle a abondamment photographiés, c'est peut-être son plus beau souvenir.

"Même au bout d'un an, on ne s'en lasse pas. Les icebergs changent tout le temps. Lors de la débâcle de la banquise (quand elle se fragmente et se brise en petits morceaux, NDLR) on ne reconnaît plus rien. Le paysage n'est jamais le même."

Les effets du changement climatique

Au-delà des parenthèses de franche camaraderie que représentent les jeux australiques et le festival du film antarctique, d'autres moments font appel à la solidarité des hivernants. Comme lors des opérations de comptage des manchots et des phoques, permettant d'évaluer l'évolution des populations dans le temps, qui nécessitent de mobiliser davantage de personnes que les deux ou trois ornithologues présents à la base.

"On se prend parfois quelques coups de palme mais ça se passe plutôt bien, raconte Charlène Garau, volontaire pour épauler les ornithologues. Là-bas, on croise des manchots comme on croiserait des personnes en ville sur un trottoir."
Des manchots Adélie à proximité de la base scientifique française Dumont-d'Urville, en Antarctique, en 2020
Des manchots Adélie à proximité de la base scientifique française Dumont-d'Urville, en Antarctique, en 2020 © Charlène Garau pour BFMTV

Les manchots empereur viennent en effet se reproduire l'hiver sur la banquise - à cinq kilomètres de la base qui se trouve sur une île - et les manchots Adélie l'envahissent l'été, parfois au milieu même des bâtiments. La faune locale compte également d'autres oiseaux, comme les pétrel des neiges et fulmar boréal, ainsi que des phoques.

Mais comme ailleurs sur la planète, les effets du changement climatique se font aussi ressentir au pôle sud. Alors que les manchots Adélie viennent mettre au monde leurs petits l'été à proximité de la base Dumont d'Urville, cette année aura été particulièrement difficile pour eux.

"En principe, il ne pleut pas à cette période de l'année, témoigne encore François Gourand. Mais c'est de moins en moins rare. Et cet été, il a plu au mauvais moment, les poussins ont été mouillés et ils ont gelé sur place. Beaucoup n'ont pas survécu, un carnage."
https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV