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Environnement: une décharge sommeille-t-elle sous votre jardin?

Photo prise le 18 novembre 2006 d'une pelleteuse circulant dans la décharge à ciel ouvert d'Entressen, dans les Bouches-du-Rhône, longtemps la plus vaste d'Europe et restée célèbre pour les sacs en plastique qui s'en échappaient

Photo prise le 18 novembre 2006 d'une pelleteuse circulant dans la décharge à ciel ouvert d'Entressen, dans les Bouches-du-Rhône, longtemps la plus vaste d'Europe et restée célèbre pour les sacs en plastique qui s'en échappaient - Anne-Christine Poujoulat-AFP

Chaque Français produit 530 kilos de déchets par an. Les municipalités se retrouvent souvent démunies face à la gestion des décharges. Les déchets, ordures domestiques comme substances plus problématiques, se dégradent en silence.

Une dans chacune des 36.000 communes de France? Deux fois plus? Les anciennes décharges enfouies minent le territoire, mais impossible de connaître leur nombre exact.

Si aujourd'hui, il existe de nombreuses réglementations en matière de stockage des déchets, cela n'a pas toujours été le cas. Pendant des décennies, les décharges se sont multipliées sur le territoire. Elles ont été progressivement fermées depuis le début des années 90. Certaines ont été vidées, triées pour être remplacées par des déchetteries. Mais nombre d'entre elles n'ont ni été sondées pour savoir ce qu'elles contiennent, ni fait l'objet d'un diagnostic quant à leur éventuel impact sur l'environnement. Et sont restées en l'état. 

Une décharge par commune... ou plus

Selon François Braud, avocat spécialiste du droit de l'environnement et de l'urbanisme en charge de plusieurs dossiers sur le sujet -dont celui d'un acheteur qui a découvert lors de travaux la présence de déchets sous son terrain, décharge par ailleurs ignorée par l'ancien propriétaire- de nombreux sites sont tout simplement ignorés. "Si une ancienne décharge pose problème, elle est donc déjà recensée. Mais si ces sites-là sont surveillés, le problème des décharges "sauvages" reste entier. Oubliées, elles sont hors radar." Et selon lui, ces sites pulluleraient sur le territoire.

"On peut se poser la question d'une dans chaque village ou regroupement de communes, voire plusieurs par municipalité. À chaque maire il faudrait demander où se trouve l'ancienne décharge. Mais il semble difficile pour un nouvel élu de savoir ce qu'il s'est passé il y a plus de trente ans."

Elles pourraient même être bien plus nombreuses. Selon un chercheur du CNRS, qui préfère garder l'anonymat, il existerait entre 60.000 et 80.000 anciennes décharges. "Certaines ont été résorbées, d'autres sont en cours." Mais un grand nombre d'entre elles seraient laissées à l'abandon. "Le problème est ingérable, ajoute-t-il. C'est impossible à nettoyer. Certaines grandes villes en ont plusieurs dizaines." Aucune liste officielle ne recense cependant de manière exhaustive ces sites.

"La mémoire de ces sites s'est perdue"

Si certaines de ces anciennes décharges communales ont à l'époque été ouvertes sur autorisation préfectorale, d'autres, dites "brutes", ont bénéficié d'une tolérance. "Les décharges non autorisées sont des installations qui font l'objet d'apports réguliers de déchets et sont exploitées, en règle générale, par les collectivités, ou laissées à disposition pour l'apport de déchets par les particuliers", définit le ministère de l'Environnement.

Et si la plupart contiennent des ordures ménagères, certaines TPE, PME et petits entrepreneurs y ont également jeté leurs déchets. Il est difficile d'estimer le nombre de ces sites dormants.

"Jusqu'au début des années 90, le système de ramassage des déchets était géré par les communes, en bon père de famille, sans les techniques d'aujourd'hui, ajoute l'avocat. Et le trou était refermé. Ce n'est que bien plus tard, lorsqu'une pollution était constatée ou à l'occasion d'un coup de pelle pour des travaux que ces décharges ont été redécouvertes. Le vrai problème, c'est l'absence de mémoire de ces sites. Le programme de recensement mis en place dans les années 80-90 n'est pas exhaustif. Et la mémoire de ces sites s'est perdue."

"Les déchets sont restés sur place"

En 2005, la Commission européenne accusait la France de conserver 8.434 décharges non autorisées toujours en activité malgré une loi de 1992 qui en imposait la fermeture. L'association Robin des bois s'est interrogée sur le devenir de ces décharges. "Après la fermeture, elles continuent à représenter un risque et une contrainte pour l'aménagement des territoires", regrette l'ONG qui milite pour la protection de l'environnement. Elle a envoyé une première série de questionnaires à 700 communes et intercommunalités. Comme le rapporte l'association qui dévoile son enquête ce jeudi, quelque 126 d'entre elles ont répondu.

Ces réponses dessinent une tendance générale: nombre de ces décharges ont été laissées telles quelles après avoir été fermées. "Les déchets sont restés le plus souvent sur place", regrette Jacky Bonnemains, président de Robin des bois. Si certaines agglomérations ont engagé des travaux d'aménagement, comme recouvrir le site de terre ou créer des fossés, d'autres se sont contentées d'installer une clôture et des panneaux afin d'empêcher quiconque d'en approcher.

Des travaux de végétalisation ont également été mis en œuvre, un maire assurant même que "le site a l'allure d'un sous-bois". Mais pour Jacky Bonnemains, la présence de végétaux ne doit pas faire oublier ce qui dort en sous-sol. "Il faut se méfier de la couverture végétale, c'est un peu un cache-misère." Certains de ces sites servent à présent de pâtures, d'autres ont été classés zone natura 2000, des sites naturels protégés pour leur faune et leur flore.

Huiles de vidange et plastiques

Autre élément récurrent révélé par cette étude: les collectivités ne connaissent pas la nature des déchets stockés, ni leur volume. Certaines évoquent tout de même des huiles de vidange, de l'électroménager, des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) -qui contiennent des composants dangereux pour l'environnement- ou encore plastiques et débris de démolition. Robin des bois remarque également que les élus méconnaissent l'historique de ces sites: certains assurent ne pas connaître leur date d'ouverture.

Un nouveau recensement devrait voir le jour d'ici 2019. Le code de l'environnement modifié par la loi Alur de 2014 prévoit que "l'État élabore, au regard des informations dont il dispose, des Secteurs d'information sur les sols" (Sis).

"Ceux-ci doivent comprendre les terrains où la connaissance de la pollution des sols justifie la réalisation d'études de sols et de mesures de gestion de la pollution pour préserver la sécurité, la santé ou la salubrité publique et l’environnement", selon le ministère de l'Environnement

"On sait qu'on ne sait pas"

Cependant, ce registre semble loin d'être une panacée. Comme le précise le rapport sur l'élaboration de ces Sis, "la démarche d'élaboration des Sis est progressive et n'a pas vocation à être exhaustive. La limite de la démarche est liée à la connaissance de l'État sur la pollution des sols, la qualité des données des études plus ou moins anciennes réalisées selon des méthodologies et des normes qui ont évolué au cours du temps, ainsi qu'à la qualité et à la précision de la géolocalisation des sites concernés". 

Pour Jacky Bonnemains, les futurs Sis n'auront pas réponse à tout. "Ils aideront au dépistage et à la remontée de ces sites pollués en milieu urbain, où les enjeux financiers des terrains inoccupés sont l'objet de convoitise. Mais pas en milieu rural." Mêmes interrogations pour François Braud qui défend également un maire accusé de ne pas avoir pris des mesures concernant l'ancienne décharge communale, exploitée alors que l'édile n'était encore qu'un enfant.

"Il n'y a pas toujours de trace officielle de ces décharges. On sait qu'on ne sait pas. Sur ce thème, c'est la politique de l'autruche. Il y a un vrai travail d'investigation à mener."

"Ne pas communiquer sur le sujet"

Bien souvent, les municipalités se retrouvent démunies face à l'ampleur du problème. "Il y a eu beaucoup de laxisme sur la question des déchets, remarque Marie-Dominique Loÿe, ancienne maître de conférence à l'Ecole normale supérieure spécialiste de l'environnement. Les élus ne sont pas sensibilisés, certains ont poussé à la dérogation, les petites communes n'ont pas les compétences. C'est un peu la patate chaude. Tant qu'une association ne fait pas de bruit, on préfère bien souvent ne pas communiquer sur le sujet."

À Bordes, village des Hautes-Pyrénées, la crue de 2013 a grignoté les berges du gave de Pau. Les couches de déchets enterrés dans l'ancienne décharge municipale, en activité entre les années 50 et jusqu'à la fin des années 80, sont à présent à ciel ouvert et se déversent dans la rivière. "On est bien conscient qu'il faut faire quelque chose, assure Serge Castaignau, le maire. On a la volonté mais il faut trouver les sous." Avec un budget annuel d'1,8 million d'euros, la municipalité ne pourra assumer seule les frais de dépollution, de réhabilitation du site et de sécurisation des berges, chiffrés à 4,5 millions d'euros. "La solution la moins chère aurait été de recouvrir la décharge de glaise et d'une bâche. Mais cette option aurait été risquée en cas de nouvelle crue." 

"On paie les erreurs du passé"

L'édile considère que l'État est responsable et a le devoir de s'investir financièrement. "C'est un peu facile de dire que c'est de la faute de la commune alors que ce sont deux arrêtés préfectoraux qui ont à l'époque donné l'autorisation d'enfouissement des ordures." Et selon Serge Castaignau, le sujet sera douloureux pour Bordes qui verra ses investissements futurs gelés. "Pendant quinze ou vingt ans, on ne pourra plus rien faire. On paie les erreurs du passé."

En théorie, le principe de pollueur-payeur s'applique. Selon le code de l'environnement:

"Toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, (…) à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination."

"L'État est responsable"

Mais en théorie seulement. Car les choses peuvent se compliquer, comme lorsque le propriétaire du site est décédé ou a fait faillite. On parle alors d'un site orphelin. Et la responsabilité est parfois difficile à assumer, tant sur le plan légal que financier. "Les déchets d'une commune sont du ressort du maire. En cas de défaillance, cela devient le problème du préfet. Et au final, c'est l'État qui est responsable, donc le contribuable", regrette François Braud.

La question des décharges embarrasse. Selon Marie-Odile Bertella-Geffroy, ancienne juge d'instruction spécialisée dans les dossiers de santé publique, "ces affaires-là ne sont pas les bienvenues". L'ancienne vice-présidente du Tribunal de grande instance de Paris et coordonnatrice du pôle de santé publique considère que "c'est toujours pareil avec ces dossiers".

"La justice, qui n'est pas indépendante, n'aime pas ces affaires. Les lanceurs d'alerte ne sont pas entendus, le poids des lobbys et des entreprises ralentit les procédures, c'est une lutte perpétuelle. Et à la fin, on arrive à la responsabilité de l'État. On peut comprendre qu'il ne veuille surtout pas que ces décharges soient recensées."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV