Avec la fonte des glaciers, l'Italie et la Suisse redessinent leur frontière

Un refuge construit en Italie à 3480 mètres d'altitude se trouve désormais en grande partie sur le territoire suisse en raison de la fonte du glacier de Théodule.

C'est l'une des multiples conséquences du changement climatique. Avec la fonte du glacier de Théodule, la frontière italo-suisse, qui suit la ligne de séparation des eaux, a été modifiée. Résultat: les deux tiers du refuge des Guides du Cervin construit en Italie, à 3480 mètres d'altitude, se trouvent désormais du côté suisse.

Ce refuge, qui offre le gîte et le couvert dans ce coin des Alpes parmi les plus prisés des adeptes de la glisse, a donc fait l'objet d'intenses négociations diplomatiques pendant plus de trois ans, jusqu'à un compromis trouvé l'année dernière, dont les détails restent secrets.

Et pour cause, la position stratégique de la bâtisse attise les convoitises. Elle est située à la jonction de Zermatt-Cervinia, une des plus grandes stations de ski au monde, qui se trouve au coeur d'un grand projet de modernisation.

"On a partagé un peu la poire en deux", a expliqué le responsable de la frontière nationale suisse Alain Wicht, qui a pris part aux négociations où chacun a fait des concessions pour trouver "une solution pour que les deux se sentent sinon gagnants, au moins pas perdants."

La frontière a fondu

Le glacier de Théodule a perdu près d'un quart de sa masse entre 1973 et 2010, et laissé place à de la roche. C'est cette fonte qui a forcé la Suisse et l'Italie à revoir leur frontière, normalement définie par la ligne de séparation des eaux, dont l'écoulement vers le nord marque le territoire suisse, et celui vers le sud, l'Italie.

Selon Alain Wicht, si ces ajustements sont fréquents, ils se règlent généralement en comparant les relevés réalisés par les équipes des deux pays, sans intervention politique.

"Il faut savoir qu'on se bat avec des terrains de moindre valeur", a-t-il noté. "C'est le seul endroit où on avait tout à coup une bâtisse qui se situait", donnant une "valeur économique" au terrain.

Ses homologues italiens ont de leur côté refusé de s'exprimer "à cause de la situation internationale complexe".

Des skieurs proches du refuge des Guides du Cervin, situé à la frontière entre la Suisse et l'Italie. © Fabrice COFFRINI / AFP

"La Suisse n'est pas intéressée par un bout de glacier"

Le contenu de l'accord négocié à Florence en novembre 2021 ne sera dévoilé qu'après son approbation par les autorités - côté suisse, le sujet ne pourra être présenté au Conseil Fédéral qu'en 2023, au plus tôt.

Ancien chef de la délégation suisse, Jean-Philippe Amstein est plus loquace, expliquant que ces différends se résolvent par un échange de territoires de surface et de valeur similaires.

"La Suisse n'est pas intéressée à obtenir un bout de glacier", a-t-il expliqué et "les Italiens n'arrivent pas à compenser la perte de surface suisse".

Des travaux de rénovation retardés

De son côté, le gardien du refuge, Lucio Trucco, 51 ans, a été informé qu'il resterait sur le sol italien. "Le refuge reste italien parce qu'on a toujours été italien", a-t-il indiqué, ajoutant que "le menu est italien, le vin est italien, et les taxes sont italiennes".

Ces années de négociation ont retardé la rénovation du refuge, aucun des villages des deux côtés de la frontière n'étant en mesure de délivrer le permis de construire.

Les travaux ne seront pas terminés pour l'ouverture d'un nouveau téléphérique, qui permettra d'accéder au Petit Cervin, un des plus hauts sommets skiables d'Europe (3883 m) depuis l'Italie fin 2023, assurant une traversée des Alpes "avec les pieds au sec" pour un coût estimé à 45 millions de francs (45.8 millions d'euros).

Alors que certaines stations de moyenne montagne se préparent à la fin du ski alpin à cause du réchauffement climatique, Zermatt-Cervinia fait durer le plaisir, même si ces activités contribuent à la fonte du glacier.

E.R. avec AFP