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Prélèvement à la source: peut-on encore le simplifier?

Le coût de la mise en place du prélèvement à la source pour les entreprises est chiffré entre 310 millions et 1,2 milliard d'euros, selon les estimations.

Le coût de la mise en place du prélèvement à la source pour les entreprises est chiffré entre 310 millions et 1,2 milliard d'euros, selon les estimations. - Philippe Huguen - AFP

Un sénateur propose de ne pas intégrer les entreprises dans le dispositif du prélèvement de l'impôt à la source, contrairement à ce qu'a prévu le gouvernement. Un changement majeur, alors que la réforme sera appliquée dans moins de six mois.

L'idée est une peu folle et arrive surtout bien tard. Le rapporteur général de la commission des finances au Sénat, Albéric de Montgolfier (LR), va déposer ce mardi une proposition de loi visant à modifier le prélèvement à la source.

Alors que la réforme sera mise en place dans moins de six mois, le sénateur espère supprimer un de ses principes de base, à savoir la collecte de l'impôt par les entreprises. Il propose également de mensualiser une partie de la restitution des crédits d'impôt.

Des coûts et des "problèmes de confidentialité"

Le changement majeur qui intervient avec le prélèvement à la source, c'est justement que la plupart des contribuables n'auront plus besoin de payer eux-mêmes leur impôt sur le revenu à l'administration. Celui-ci sera directement prélevé chaque mois sur leur paie. La collecte et le versement aux finances publiques se fera par leur employeur ou par leur caisse de retraite.

Albéric de Montgolfier dénonce le coût pour les entreprises de la mise en place de ce système. Pour la première année, les estimations vont de 310 à 420 millions d'euros, voire 1,2 milliard d'euros selon les cabinets. Le prélèvement à la source pourrait aussi créer "un problème de confidentialité" et pourrait "dégrader les relations salariales", selon le sénateur. Même si l'administration a prévu l'application d'un taux neutre, pour les personnes ne souhaitant pas que leur employeur sache qu'ils perçoivent d'autres revenus.

Généraliser la mensualisation

Pour remédier à cette situation, l'élu propose tout simplement de ne pas intégrer les entreprises dans le prélèvement de l'impôt. À la place, il prône une "généralisation de la mensualisation".

Chaque mois, tous les éléments de la paye d'un travailleur sont déclarés par son employeur à l'administration. Cette dernière pourrait alors se servir de ces informations pour fixer le montant à payer et le prélever directement sur le compte bancaire du contribuable chaque mois. "Le seul inconvénient est qu'on a 45 jours de décalage" pour que les finances publiques reçoivent la déclaration, note Albéric de Montgolfier.

Alors que le dispositif prévu par le gouvernement prévoit que les impôts du mois M soient prélevés sur la fiche de paye de ce même mois M. Le système proposé par le sénateur ferait que les impôts du mois M seront prélevés sur la fiche de paye du mois M+2.

Par ailleurs, la proposition d'Albéric de Montgolfier pourrait résoudre le problème auquel seront confrontés les "particuliers employeurs", autrement dit ceux qui emploient une femme de ménage ou une nourrice par exemple. Dans le dispositif prévu par le gouvernement, le particulier-employeur doit verser le salaire et les charges à l’État, via les organismes dédiés (Cesu et Pajemploi). L’administration se chargera ensuite de reverser le salaire net de l’employé. Problème, ce système ne sera pas prêt avant au minimum le second trimestre 2019. Que devront faire les particuliers-employeurs en attendant?

Une vision "puriste" du prélèvement à la source

Dans un rapport remis au Parlement en 2017 dans lequel il analyse les options alternatives, le gouvernement avait déjà étudié cette éventualité. Il explique que si on se passe des employeurs, "par définition, il ne s’agirait plus d’une retenue à la source à proprement parler mais d’un prélèvement effectué par l’administration fiscale sur le compte bancaire du contribuable, une fois le revenu versé."

Albéric de Montgolfier déplore une vision "puriste" du prélèvement à la source. "L'administration a trop bien répondu à la commande du gouvernement", estime le sénateur. Tel qu'il est appliqué dans les autres pays, le prélèvement à la source fonctionne effectivement avec le concours des employeurs. "Cette volonté de faire à tout prix collecter les entreprises, je n’y vois que des inconvénients", a-t-poursuivi.

Dans ce même rapport, le gouvernement note cependant des "contraintes techniques", notamment la possibilité de prélever l'impôt uniquement sur un seul compte bancaire par foyer, et des contraintes réglementaires.

"L'impact psychologique du bulletin de paye qui baisse"

Concernant les crédits d'impôt, dans le dispositif prévu par le gouvernement, l'administration restitue les sommes dues, au titre des montants engagés en 2018, à l'été 2019.

Pour Albéric de Montgolfier, les contribuables "font la trésorerie de l'État" en faisant une avance chaque mois via le prélèvement à la source qui leur sera restituée seulement à l'été. "Je pense que le gouvernement n’a pas mesuré l’impact psychologique du bulletin de paye qui baisse en janvier", a-t-il pointé.

Pour mémoire, Bercy compte mettre en évidence sur la fiche de paye le gain de pouvoir d'achat réalisé avec la suppression des cotisations salariales. "Quand l’administration en vient à changer la taille de caractère sur la feuille de paie c’est qu’il y a un problème", a réagi le sénateur.

Albéric de Montgolfier juge qu'il faut amoindrir l'"impact sur le bulletin de paie". L'élu républicain propose d'intégrer les déductions fiscales dans le prélèvement à la source. Cela consisterait à restituer chaque mois 1/12e des crédits d'impôt entre janvier et août, puis une régularisation des 33% des crédits restants en septembre.

Un acompte de 30% en janvier

Pour mémoire, dans le système actuel le contribuable fait déjà une avance de trésorerie à l'État. Dans le cas de l'emploi d'une femme de ménage par exemple, le contribuable paye l'intégralité des salaires en année N, et se voit restituer ce crédit d'impôt en année N+1, ce qui ne change pas avec le prélèvement à la source.

En revanche, jusqu'ici les contribuables concernés, lorsqu'ils bénéficiaient d'un crédit d'impôt pendant plusieurs années, avaient pris l'habitude de moduler à la baisse leurs mensualités pour tenir compte du crédit d'impôt. Or, ce ne sera plus possible avec le prélèvement à la source, puisque le taux est fixe et ne prend pas en compte les crédits d'impôt.

Bien consciente du problème, l'administration a décidé, dans le cadre du passage au prélèvement à la source, de verser un acompte de 30% en janvier et le solde en août pour les crédits d'impôts concernant les aides à domicile, les frais de garde d'enfants et les dépenses de maison de retraite (Ephad). Cela a été mis en place "afin de garantir une séquence de trésorerie qui reste identique ou avantageuse pour le contribuable dans la majorité des cas", assure Bercy.

"Au moins faire naître le débat"

Alors que le prélèvement à la source doit entrer en vigueur au 1er janvier 2019 et que l'État a mobilisé 140 millions d'euros pour cette réforme, la proposition de loi d'Albéric de Montgolfier semble, à cette heure, avoir peu de chance de renverser la tendance. Le sénateur se veut confiant:

"On ne jette pas tout à la poubelle. Ce qui coûte cher c’est le calcul du taux et l’année de transition [l’année blanche,ndlr]. Le travail est fait", souligne-t-il. "Tant que le prélèvement à la source n’est pas mis en place on peut réagir, la loi de Finances, on la vote en décembre." Et même s'il n'aboutit pas, le texte pourra "au moins faire naître le débat".

Jean-Christophe Catalon