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Notre-Dame: pourquoi malgré la défiscalisation les dons seront très rentables pour l'Etat

Le système fiscal est particulièrement généreux avec les donateurs français. Mais sans l'argent des dons, l'Etat devrait prendre quasiment entièrement à sa charge les travaux.

La polémique enfle depuis mardi. Les généreuses donations annoncées en faveur de la cathédrale de Notre-Dame de Paris seraient, à en croire certains, un drame fiscal en devenir. La faute à plusieurs niches fiscales qui permettent de récupérer une partie des dons octroyés par les entreprises et les particuliers. En réalité, dans le cas d'espèce qui nous intéresse, si la générosité des Français peut entraîner un problème de trésorerie à court terme pour le fisc, l'Etat gagnera au final bien de l'argent grâce aux dons. Explications.

Alors que les dons affluent après l'incendie qui a ravagé la cathédrale de Notre-Dame, le député LR Gilles Carrez s'inquiétait ouvertement mardi dans les colonnes du Monde:

"C’est la collectivité publique qui va prendre l’essentiel [des frais de reconstruction] en charge", indiquait le député. Avant de calculer que sur les 700 millions de dons récoltés alors (la barre du milliard devait être dépassée aujourd'hui), 420 millions d'euros "seront financés par l'Etat, au titre du budget 2020" (soit 60% des montants en jeu).

Face à la polémique, François-Henri Pinault, qui a promis de verser 100 millions d'euros, a confié ce mercredi à Europe 1 qu'il renoncerait à la réduction d'impôt liée à ce don.

Trois dispositifs différents de réduction d'impôt

Car effectivement, les dons donnent bien lieu à des réductions d'impôt. Comme toujours en matière de fiscalité, rien n'est simple en France. Il existe en réalité trois formes de réductions: une pour l'impôt sur le revenu (IR), une autre pour l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et une autre pour le mécénat.

"Lorsque le montant des dons dépasse la limite de 20% du revenu imposable, l'excédent est reporté sur les cinq années suivantes et ouvre droit à la réduction d'impôt dans les mêmes conditions", détaille le site service-public.fr.

Inversement, comme il ne s'agit pas d'un crédit d'impôt mais d'une réduction d'impôt, si vous ne payez pas d'impôt sur le revenu, vous ne pourrez pas récupérer un seul centime.

  • Dans le cadre de l'IFI, il existe également une réduction qui existait déjà avec l'ISF:
"Dans la limite globale annuelle de 50 000 euros, un contribuable peut déduire de son IFI 75% des versements effectués, en numéraire ou par dons en pleine propriété de titres de sociétés cotées", détaille une notice des services du fisc. "Elle ne peut pas se cumuler avec celle prévue à l’impôt sur le revenu", précise cette notice.
  • Enfin, sous la forme de mécénat, celle privilégiée généralement par les grandes fortunes, le taux de réduction d'impôt est fixé à 60% du montant du don au titre de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu. Cette réduction passe à 90% pour les versements en faveur de l'achat par un organisme public de trésors nationaux (et à 40% pour l'achat en direct de trésors nationaux). Dans le cas de Notre-Dame, il s'agit d'une réduction à 60%. Et dans ce cadre, il existe une limite de taille: la réduction d'impôt ne peut excéder 0,5% du chiffre d'affaires annuel hors taxe.

    Pour les multinationales, seul le "chiffre d’affaires correspondant aux bénéfices imposables" en France sont pris en compte. Pour une société effectuant par exemple 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires, le plafond est ainsi de 250 millions d'euros. Par ailleurs, "les versements excédant le plafond de 5 ‰ du chiffre d’affaires au cours d’un exercice N peuvent donner lieu à réduction d’impôt au titre des cinq exercices suivants, après prise en compte des versements effectués au titre de chacun de ces exercices, sans qu’il puisse en résulter un dépassement dudit plafond", précise le bulletin officiel des Finances publiques (le Bofip).

Philippe annonce une réduction de 75% pour les dons de moins de 1000 euros

Mais le Premier ministre Edouard Philippe vient d'annoncer une nouveauté ce mercredi. Pour les particuliers, le plafond pour les dons en faveur de Notre-Dame de Paris passera à 75% du montant (toujours dans la limite a priori de 20% des revenus imposables) pour les dons inférieurs à 1000 euros. Pour les autres, ce sera le plafond classique de 66% qui s'appliquera.

Le système fiscal français est ainsi très incitatif et favorable aux donateurs. On ajoutera que ces réductions sont bien listées dans les projets de loi de finances comme des dépenses fiscales. Car l'Etat subventionne ainsi des dons vers des organismes auxquels il n'aurait pas versé nécessairement d'argent.

Mais pour Notre-Dame, la cathédrale étant propriété de l'Etat et n'étant pas assurée en tant que telle, c'est l'Etat qui devra quoiqu'il arrive payer de sa poche la quasi-totalité de la reconstruction, comme nous l'expliquions de manière plus détaillée ici.

De potentiels problèmes de trésorerie

S'il n'y avait pas de dons, l'Etat devrait piocher dans ses réserves, augmenter les impôts ou baisser d'autres dépenses pour faire face au coût. Imaginons qu'il n'y ait aucun don et que les travaux coûtent 4 milliards d'euros au final (pure spéculation, car personne ne sait exactement ce que va coûter ce chantier): l'Etat aurait dû mettre de sa poche ces 4 milliards. Imaginons désormais que les dons des Français représentent 2 milliards d'euros. Sur ce montant, les particuliers et les entreprises vont récupérer autour de 1,2 milliard d'euros. Soit 800 millions d'euros de dons "nets" pour le fisc. L'addition totale des travaux de reconstruction pour l'Etat sur ses fonds propres passe ainsi à 3,2 milliards d'euros. Et encore, rien n'interdit aux donateurs de ne pas réclamer la réduction d'impôt. 

En tout état de cause, les dons n'auraient pu coûter de l'argent à l'Etat que si le financement des travaux avait dû être assumé par des acteurs privés. La question du coût des niches fiscales liées aux dons est parfaitement légitime dans cette situation. Mais ce n'est pas le cas ici.

L'Etat ne peut donc pas perdre de l'argent dans cette opération globalement. Par contre, il est évident qu'un tel afflux de dons peut poser des problèmes de trésorerie. Le fisc devra en effet redonner de l'argent aux donateurs en grande partie sur l'année 2020 (au titre des dons faits en 2019). Or, si l'Etat avait tout payé de sa poche, il aurait pu étaler facilement les montants à débloquer sur la durée du chantier ou au-delà, en fonction de sa trésorerie. Par exemple via un emprunt qui n'aurait été remboursé que quelques années plus tard. Surtout qu'au vu des taux actuellement exceptionnellement bas (la France emprunte à 0,36% sur 10 ans et à pratiquement 0% sur 2 ans), le coût d'un emprunt sur quelques années est minime pour l'Etat. On précisera enfin que les dons issus de particuliers non domiciliés en France seront "tout bénef" pour l'Etat car ils n'ouvrent pas droit à une réduction d'impôt.

Jean-Louis Dell'Oro