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Vers une renaissance des trains de nuit en France?

Le gouvernement veut relancer les trains de nuit

Le gouvernement veut relancer les trains de nuit - Thello

Dans le cadre de la transition écologique, le gouvernement a annoncé son intention de relancer les trains de nuit. Mais sa stratégie reste particulièrement floue alors que leur développement pose un certain nombre de difficultés.

Condamné à disparaître il y a encore quelques années, longtemps délaissé par les pouvoirs publics, le train de nuit devrait signer son grand retour en France où il suscite un nouvel engouement. Lors de son interview du 14-juillet, Emmanuel Macron a justement promis dans le cadre de de sa politique de transition écologique de mettre l’accent sur les liaisons ferroviaires nocturnes. A contrario de la stratégie adoptée ces dernières décennies.

Il suffit de jeter un œil au réseau des Intercités de nuit pour se rendre compte du désengagement progressif de la SNCF et des pouvoirs publics sur cette activité. En 1981, 550 villes françaises étaient desservies par au moins un train de nuit en France. C’était sans compter sur l’essor du TGV mais aussi des vols à bas prix qui a convaincu l’Etat de supprimer la quasi-totalité des trains de nuit en 2016. Désormais, seules deux lignes nocturnes intérieures sont encore exploitées par la SNCF: Paris -Toulouse - Rodez - Latour-de-Carol et Paris - Briançon. A cela s’ajoutent un Paris-Venise exploité par l’Italien Thello et deux liaisons Paris-Moscou et Nice-Moscou assurées par la compagnie ferroviaire russe SZD.

Trop peu pour les amateurs du train de nuit qui réclament un renforcement de l’offre depuis des années. "Il y a une demande réelle", assure à BFM Eco Bruno Gazeau, président de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT). Elle émane en particulier de voyageurs "nostalgiques" mais aussi d’une "clientèle qui a du temps mais moins d’argent (que celle des TGV, ndlr) et qui a donc de l’appétence pour des trains Intercités", poursuit-il.

Gain de temps et économies

L’exécutif a fait un premier geste pour répondre à cette demande en annonçant la semaine dernière la réouverture de deux lignes, à savoir Paris-Nice et Paris-Tarbes, à compter de 2022. "A la FNAUT, on est content, parce que pour l’instant on avait surtout entendu parler de recapitaliser l’automobile et l’aviation", se félicite Bruno Gazeau.

Il s’agit d’une première victoire pour les défenseurs du train de nuit qui n’ont cessé de faire valoir les atouts de ce mode de transports. A commencer par son bilan carbone, environ quinze fois moins important que celui de l’avion.

Mais les avantages du train de nuit ne sont pas uniquement écologiques. Il permet "de ne pas perdre de temps et de voyager dans un temps considéré comme socialement inutile (…). Un atout important qui offre la possibilité de se déplacer sans fatigue. Et diminue le risque d’accidents en évitant de faire un long trajet en voiture", observe Florence Péters, responsable Transport & Mobilité au sein du cabinet de conseil CGI Business Consulting. Sans oublier les économies non négligeables réalisées sur la nuit d’hôtel grâce à une arrivée à destination au petit matin.

Un modèle trop coûteux?

Si les trains de nuit présentent des avantages indéniables, leur remise en service pose de nombreuses difficultés. D'abord parce que leur viabilité économique est loin d'être acquise. Lorsque l’Etat a décidé de laisser tomber cette activité sous le quinquennat de François Hollande, les raisons invoquées étaient essentiellement liées au manque de rentabilité alors que les trains de nuit représentaient un quart du déficit des Intercités avec des pertes de l’ordre de "100 millions d’euros par an", selon Florence Péters.

A l’époque, Alain Vidalies, alors secrétaire d’Etat aux Transports, affirmait que chaque billet vendu nécessitait "plus de 100 euros de subventions publiques". Mais cela correspond "aussi aux subventions accordées sur un billet d’avion entre des aéroports déficitaires", rétorque Bruno Gazeau.

"Il y a aussi un choix politique qui consiste à définir où on va prioritairement placer les subventions vis-à-vis du ferroviaire. (…) La politique de l’Etat et des régions était ces dernières temps une politique au service du train du quotidien pour favoriser ce moyen de transport et en faire une alternative à la voiture avec une offre renforcée", analyse Florence Péters.

Les détracteurs des trains nocturnes avancent par ailleurs que leur maintien coûte cher au regard de leur taux de fréquentation: 47% en moyenne en 2015, selon les chiffres de l’Autorité de Régulation des Transports. Il n’empêche, c’est "près de 10 points au-dessus de la moyenne de l’activité Intercités", soulignait l’instance indépendante dont les chiffres ont été repris par le collectif "Oui au train de nuit!". Depuis, le taux d’occupation de l’offre de nuit a chuté à 36% en 2018. Une baisse qui reste cependant à relativiser puisqu’elle s’explique essentiellement par la fermeture de la ligne Paris-Nice-Vintimille qui affichait le plus fort taux d’occupation (56%).

Reste la problématique des travaux que la SNCF réalise le plus souvent de nuit pour optimiser l’utilisation des infrastructures le jour. De quoi compliquer un peu plus le développement d’un réseau nocturne.

"Enjeu de rénovation colossal"

Actuellement, l’Etat subventionne à 50% le fonctionnement des lignes de nuit, à hauteur de 20 millions d’euros. Il s’est également engagé en 2018 à investir plus de 30 millions d’euros pour rénover les voitures qui circulent sur les deux liaisons encore existantes.

Il est vrai que dans son objectif de relancer les trains de nuit, l’Etat part de loin. En effet, s’ils ne sont pas déjà proches de la casse, les wagons lits et couchettes toujours en service sont particulièrement vétustes. Même chose pour le réseau des lignes secondaires qui devra sans doute bénéficier d’une rénovation après avoir été délaissé au profit du TGV.

La remise en service des trains de nuit, s’il elle se concrétise à travers une offre plus complète, devra donc inévitablement passer par un investissement massif en matériel et en modernisation des infrastructures notamment via la régénération des voies. "Si on veut relancer des trains de nuit, la plupart des rames ne sont pas en état d’être remises en service, il va falloir en racheter. (…) Il y a un enjeu de rénovation qui est colossal après une période de sous-investissement", confirme Florence Péters.

Le collectif "Oui au train de nuit!" estime à 1,5 milliard d’euros l’investissement nécessaire d’ici 2030 pour créer quinze nouvelles lignes nationales -avec 750 voitures neuves ou rénovées- et quinze nouvelles lignes européennes co-financées par plusieurs pays.

Des orientations encore floues

"Nous avons beaucoup d’ambition pour les trains de nuit en France", affirmait il y a peu le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, promettant "une politique de promotion et de redynamisation" de ce mode de transports. Mais au-delà de l’effet d’annonce, la stratégie de l’exécutif en la matière demeure totalement inconnue.

"Quel est le modèle économique précis? Qui finance? A quel niveau de subventions?", s’interroge Florence Péters qui préconise de chiffrer avec sérieux le coût complet des achats de matériels et de régénération des voies en cas de réouverture de lignes. "Il faut retravailler précisément les coûts d’exploitation et de circulation", ajoute l’experte en transport ferroviaire, estimant qu’une "analyse stratégique est indispensable pour bien cerner" les besoins.

Même son de cloche du côté de Bruno Gazeau: "Quand le gouvernement annonce qu’il va rouvrir des lignes, il ne dit pas qui prend en charge l’amélioration des voies, le matériel, le déficit… Je trouve les annonces intéressantes pour des raisons écologiques mais on n’a pas fait le tour du problème", met en garde le président de la FNAUT.

Pour lui, l’activité future des trains de nuit devra nécessairement être réorganisée: "Les trains de nuit, pour les rentabiliser, il faut qu’ils circulent la nuit et le jour. Il faut trouver des itinéraires compatibles", explique-t-il. Concrètement, il suggère par exemple qu’un train de nuit au départ de Paris qui arriverait à Nice un vendredi puisse effectuer des liaisons régionales le samedi entre la capitale de la Côte d’Azur et d’autres villes proches. Avant de repartir de Nice le dimanche pour le trajet retour vers Paris.

"Les trains qui arrivent le vendredi et qui ne roulent pas jusqu’à leur départ le dimanche, ce n’est plus tolérable pour être compétitif par rapport à l’avion", poursuit-il.

Quel confort à bord des futurs trains de nuit?

Le retour des trains de nuit nécessite aussi de s’interroger sur l’offre proposée à bord et sur le public ciblé. Quelles fréquences de trains? Quels tarifs et dans quelles conditions de voyage? Car depuis 2007 et la suppression des voitures-lits, les trains de nuits ne proposent plus que des sièges inclinables ou des compartiments avec quatre ou six couchettes, sans douche, ni WiFi. "On a réduit le confort, une gamme de clientèle a été perdue par ce biais-là", rappelle Florence Péters.

Le résultat d’une mauvaise orientation stratégique? Sans doute. Une étude de la FNAUT réalisée en février auprès de 3492 personnes démontre que les attentes des passagers en termes de confort sont "très diversifiées". Interrogés sur le type d’offre qu’ils souhaitaient trouver à bord, 69% des sondés répondaient des "compartiments avec quatre couchettes" et 56,2% des "voitures-lits" plus confortables avec "deux ou trois lits".

Ils sont également 35,9% à réclamer des "voitures-lits avec douches et toilettes", 38,3% des "compartiments avec 6 couchettes", 34,2% des "voitures-lits single" (un seul lit) et même 29,1% des "sièges inclinables". Autrement dit, aucune option n’est totalement écartée par les voyageurs. "Je pense que l’offre des futurs trains de nuit doit être panachée en termes de niveau de confort. Il ne faut pas que du haut de gamme, ni uniquement du bas de gamme", suggère Florence Péters.

Cette solution permettrait potentiellement d’augmenter la fréquentation des trains en incluant un public plus large. Avec une partie de la clientèle aisée qui pourrait abandonner l’avion au profit du train: "Il y a une demande de ce type de clientèle qui tient à son confort mais qui ne rechigne pas à passer une nuit dans le train dès lors qu’elle a une douche, le Wifi, un petit-déjeuner…", note Bruno Gazeau.

Liaisons intra-européennes

Si au moins deux lignes intérieures vont rouvrir d’ici 2022, il n’est pas à exclure que de nouvelles liaisons intra-européennes voient également jour. Bruno Gazeau assure que "l’Europe est assez motrice sur le retour des trains de nuit car le sentiment de honte de prendre l’avion est plus important en Europe du Nord".

Certains pays européens ont déjà renforcé leur présence sur le marché des trains de nuit vers des destinations étrangères. C’est le cas de l’opérateur historique autrichien ÖBB qui a racheté en 2016 la division train de nuit de son homologue allemand, la Deutsche Bahn, et qui est aujourd’hui leader sur en Europe sur ce segment. "Les trains de nuit sont et resteront une niche, mais ça ne veut pas dire qu'une niche ne peut pas être rentable", assurait notamment Bernard Rieder, porte-parole d'ÖBB, en mars 2019.

Florence Péters estime ainsi qu’il sera essentiel dans la réflexion des pouvoir publics et de la SNCF de regarder "où est-ce que ça marche et comment fonctionnent les modèles étrangers?" pour éventuellement envisager l’ouverture de lignes vers des villes de pays voisins qui seraient à la fois pertinentes et économiquement intéressantes.

Sans doute en saura-t-on davantage lorsque le gouvernement détaillera sa stratégie. Un rapport sur les perspectives de relance des trains de nuit avec des précisions sur "le développement de nouvelles lignes" et "les conditions d’une amélioration de l’offre" devait justement être rendu par le gouvernement au Parlement le 30 juin. Mais sa rédaction ayant été retardée en raison de la crise du coronavirus, il devrait finalement être "prêt à la fin de l’été".

Paul Louis