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TOUT COMPRENDRE - Quel sera l'effet des sanctions économiques contre la Russie?

L’Union Européenne s’apprête à adopter des sanctions “massives et robustes” contre la Russie, selon les mots du chancelier allemand. Les mesures économiques étudiées sont limitées et leur efficacité reste à prouver.

Ils veulent taper fort pour éviter “la catastrophe”. Les dirigeants européens occidentaux doivent décider de sanctions unilatérales contre le Kremlin. Berlin a déjà pris la décision de suspendre l’autorisation du gazoduc Nord Stream 2, qui devait relier l’Allemagne à la Russie. Le Royaume-Uni a annoncé de son côté "une première série" de sanctions économiques. Mais quelle est la nature de ces mesures envisagées? Sont-elles suffisamment dissuasives face à un pays aux richesses limitées mais déjà économiquement replié sur lui-même?

• Quelles sanctions économiques peuvent être envisagées contre la Russie?

Au-delà des leviers diplomatiques, ce sont bien des leviers économiques qui vont être utilisés pour mettre la pression sur Moscou. Un arsenal de mesures est à la disposition des occidentaux.

•Les oligarques russes proches de Vladimir Poutine pourraient voir leurs biens saisis et leurs avoirs bloqués.

•Les Etats-Unis promettent de sévères sanctions sur les industries essentielles et les institutions financières. Parmi elles, Swift, système international de paiement par messagerie bancaire qui réunit 200 pays et 11.000 entreprises. Il sert à effectuer des transactions sécurisées. La Russie pourrait en être exclue. Une mesure hautement symbolique sur le plan diplomatique.

•Autre possibilité envisagée par les Américains: couper l’accès de la Russie aux dollars.

•L'interruption du projet de nouveau gazoduc Nord Stream 2 destiné à acheminer le gaz russe vers l’Europe est exigée par l’Ukraine et vient d'être accepté par l'Allemagne.

•Autre possibilité, interdire les exportations technologiques: intelligence artificielle et nouveaux d’ordinateurs pourraient être concernés, pour empêcher le développement

• La Russie est-elle prête à prendre ce risque économique?

Le détail du budget national russe est flou. Il contient même des lignes secrètes, en particulier celles liées à la défense. Selon Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie de l’IFRI. Difficile de mesurer précisément dès lors l’impact possible des sanctions européennes.

Toujours est-il que le taux d’inflation en Russie a atteint 8% en un an, un record depuis 5 ans. Le pouvoir d’achat des russes est en recul de 10% en moins d’une décennie.

Le dernier bulletin d'Eurostat sur le commerce extérieur européen montre que la Russie reste un des principaux partenaires de l'UE, malgré la baisse des échanges internationaux. Pour 2021, la Russie a exporté pour 158 milliards d'euros vers l'Europe, c'est plus que le Royaume-Uni (146 milliards d'euros).

Les mesures économiques pourraient donc assécher des échanges commerciaux majeurs pour la Russie.

D'autant que la Russie pâtit d’une économie peu diversifiée, concentrée sur les hydrocarbures. Or, pour continuer l'extraction de gisements de pétrole, Moscou a besoin d’un savoir-faire technologique qui pourrait bien lui manquer à moyen terme. Le pays vit de ses réserves mais ne développe plus de nouveaux gisements.

• Ces sanctions peuvent-elles être efficaces?

"Nous n'en n'avons rien à foutre." C’est le message délivré par l'ambassadeur russe en Suède la semaine dernière, interrogé sur d'éventuelles sanctions européennes contre le pays.

Au-delà des mots, il existe déjà des sanctions économiques contre la Russie depuis l’annexion de la Crimée depuis 2014. Depuis, la Russie a appris à produire plus et à importer moins. Le pays est devenu, par exemple, le premier exportateur mondial de blé. De quoi lui rapporter plus que les ventes d’armes.

Les produits énergétiques restent le cœur de l’économie du pays. Ils représentent plus de 60% des exportations du pays. Cette absence de diversification est paradoxalement un avantage en ce moment: les menaces de conflit ont fait grimper les cours des matières premières, principales richesses du pays.

L’absence de dollars, si elle ne faciliterait pas les échanges, ne serait pas un élément bloquant pour la Russie. Le pays s’est préparé à cette éventualité. Seulement 10% des hydrocarbures sont encore vendus en dollars… contre 100% en 2013.

L’euro est d’ailleurs plus présent que le dollar dans le pays, désormais. 16% des réserves du pays sont des dollars.

Selon le professeur au Collège de France et économiste Philippe Aghion, l’Occident n’a pas les moyens de sanctionner économiquement la Russie. “Poutine a totalement pris en compte le fait qu’il pouvait y avoir des sanctions. Il sait les contourner. Je ne crois pas du tout à l’efficacité des sanctions contre la Russie".

A défaut de commercer avec l’Union Européenne et les Etats-Unis, la Russie peut compter sur la Chine, qui pourrait bien voler à son secours, notamment pour les matières premières. Pékin est déjà le premier partenaire commercial de la Chine depuis 12 ans. En 2020, les importations chinoises de gaz russe ont augmenté de 75% en valeur et de 31% pour le pétrole. Les exportations de produits chinois en Russie ont progressé de 22%. Les deux pays vont d’ailleurs inaugurer un pont autoroutier pour faciliter les échanges de marchandises.

La Russie peut aussi compter… sur elle-même. Son stock d’or a été multiplié par 5.

A l’intérieur de la Russie, l’exclusion du système Swift aurait des conséquences très limitées puisqu’ils disposent de leur propre système.

Près de 40 pays sont sous sanctions dans le monde, la France en applique contre 25 pays. De quoi provoquer de l’inflation, des pénuries, rendre la vie des populations plus compliquées, mais cela n’a pas d’impact politique réel. L’exemple de l’échec politique de l’embargo américain contre Cuba depuis les années 1960 le montre bien. Celles prises contre la Corée du Nord n'empêchent pas la dictature de fonctionner.

• Quelles mesures de rétorsions économiques de la Russie?

Vladimir Poutine pourrait décider de mettre un terme aux exportations de blé. Cela aurait peu de conséquences sur la consommation des européens mais aurait pour désagrément de faire monter les prix partout en Europe.

Par ailleurs, les sanctions économiques pourraient se retourner contre nous. Plus de 500 filiales d’entreprises françaises sont implantées en Russie, dont 35 entreprises du CAC 40. La France est le premier employeur étranger avec près de 160.000 salariés.

Autre levier, les livraisons de gaz, que Moscou pourrait encore réduire. Bloquer le gazoduc Nord Stream 2 aurait pour conséquence d’affaiblir l’économie allemande. 40% du gaz européen est russe. L’Europe osera-t-elle couper le robinet de gaz quitte à en manquer? C’est peu probable.

Sofiane Aklouf avec Nicolas Doze, Emmanuel Lechypre, Pierre Kupferman et Thomas Leroy