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TOUT COMPRENDRE - Que se passe-t-il entre l'Union européenne et le laboratoire AstraZeneca?

Image d'illustration - AstraZeneca

Image d'illustration - AstraZeneca - AFP

Depuis quelques jours, le torchon brûle entre l'Union européenne et AstraZeneca. En cause, les retards de livraison de vaccins annoncés par le groupe pharmaceutique qui invoque une "baisse de rendement" sur un site de fabrication.

La colère monte à Bruxelles. Depuis quelques jours, l’Union européenne met la pression sur Astrazeneca, accusé de ne pas respecter ses engagements. Tout avait pourtant bien commencé l’été dernier, lorsque le laboratoire suédo-britannique devenait le premier à conclure un accord avec l’UE pour une commande de 400 millions de doses de son vaccin contre le Covid-19.

Les Européens misent particulièrement sur ce vaccin moins cher et plus facile à stocker que ceux de Pfizer-BioNtech ou Moderna. Alors, quand Astrazeneca a annoncé qu’il ne serait pas en mesure de livrer en temps et en heure le nombre de doses espérées au premier trimestre, les dirigeants de l’UE ont vu rouge. Et ce, alors que la décision du régulateur européen pour une autorisation de mise sur le marché de ce vaccin est attendue vendredi.

> Retards "inacceptables"

Invoquant une "baisse de rendement" sur un site de fabrication européen, AstraZeneca a annoncé vendredi 22 janvier qu’il ne pourra finalement livrer qu’"un quart" des doses initialement promises au bloc communautaire au premier trimestre. De quoi agacer l’Union européenne qui devait recevoir 80 millions de doses à cette échéance, dont 17,5 millions pour l’Hexagone. Le lendemain, une information de Reuters évoquait une nombre de doses livrées en baisse de 60%, à 31 millions pour le premier trimestre.

Des retards d’autant plus contrariants que plusieurs Etats membres, dont la France, font déjà face à des problèmes d’approvisionnement qui les contraignent à reporter voire annuler des injections en raison de retards des livraisons de Pfizer.

Lundi, la commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, est montée au front, estimant que les retards de livraison annoncées par AstraZeneca étaient "inacceptables". Elle a dit avoir écrit le week-end dernier au groupe pharmaceutique pour lui poser des questions "importantes et graves". "L'UE a préfinancé le développement rapide du vaccin et la production, et veut un retour" sur cet investissement, a ajouté la responsable, avant de réclamer que "les doses commandées et préfinancées soient livrées dès que possible" et que le "contrat soit totalement honoré".

> Le Royaume-Uni favorisé?

Pour Bruxelles, les explications fournies AstraZeneca lors de réunions avec les dirigeants de l’UE "n’ont pas été satisfaisantes jusqu’à présent". En réalité, l’Union européenne soupçonne le laboratoire de réserver les quelques doses disponibles au Royaume-Uni qui, ne pouvant pas profiter du "prix de gros", a sans doute payer plus cher ses vaccins. En clair, de favoriser le mieux-disant, au détriment des 27.

Une accusation formellement démentie par le PDG du groupe pharmaceutique, Pascal Soriot, qui assure que son entreprise ne prend "certainement pas de vaccins aux Européens pour les vendre ailleurs avec profit". "Cela n’aurait aucun sens", a-t-il dit dans une interview au Figaro.

Il a en outre affirmé que des problèmes de démarrage avaient également pénalisé la chaîne d’approvisionnement britannique, mais "le contrat britannique a été signé trois mois avant le contrat européen. Donc, avec le Royaume-Uni, nous avons eu trois mois supplémentaires pour résoudre les problèmes rencontrés".

> Que dit le contrat?

Ces derniers jours, l’Europe a continué de mettre la pression sur AstraZeneca en exigeant d’être livrée comme convenu, notamment en vaccins produits dans ses deux usines outre-Manche.

Et pour cause, le contrat signé prévoit qu'AstraZeneca mobiliserait quatre usines, dont deux au Royaume-Uni, pour produire les doses destinées à l'UE, ce que Bruxelles lui demande de faire, rappelle-t-on de source européenne.

Laissez-moi être claire: il n'y a pas de hiérarchie de ces usines dans le contrat, aucune différenciation entre les sites au Royaume-Uni et dans l'UE", a insisté Stella Kyriakides au cours d'une conférence de presse. "Le contrat prévoit l’existence de capacités de production supplémentaires. De telle sorte que s’il y a un problème dans une usine en Belgique, nous puissions recourir aux capacités d’autres usines en Europe ou au Royaume-Uni", a insisté un responsable européen.

Un discours qui va à l’opposé de celui de Pascal Soriot, selon lequel la production des usines au Royaume-Uni est réservée aux Britanniques en vertu de l’accord conclu avec Londres. Il affirme même ne pas s’être engagé avec Bruxelles sur la livraison des doses: "Ce n’est pas un engagement contractuel. On a dit: ‘On fera de notre mieux, sans garantie de réussir".

> Inspection

L’Union européenne ne semble pas pour autant vouloir lâcher l’affaire et entend bien obtenir ses doses comme prévu. D’autant qu’avec le Brexit, le dossier prend une tournure politique. Hors de question de laisser croire que la sortie des Britanniques de l’UE est à l’origine des réussites du Royaume-Uni en matière de vaccination.

Décidée à lever (ou confirmer) tout soupçon, la Commission européenne a chargé ce jeudi le gendarme sanitaire belge d’inspecter l’usine de Hénogen/Novasep à Seneffe (sud de la Belgique), partenaire d’AstraZeneca, pour s’assurer que les retards de livraison du laboratoire sont "bien dus à un problème de production sur le site belge", a commenté le cabinet du ministre belge de la Santé Franck Vandenbroucke.

L'inspection a eu lieu et "certains documents et données" saisis sont "en cours d'examen", a ajouté une porte-parole de l'agence fédérale belge des médicaments et des produits de santé (AFMPS).

> AstraZeneca fait un geste

Mercredi soir, aucun accord n’avait été trouvé après une réunion à Bruxelles entre l’Union européenne et AstraZeneca. "Nous déplorons la persistance d'une opacité sur le calendrier de livraisons", a déclaré Stella Kyriakides. L’UE avait par ailleurs demandé au laboratoire de publier le contrat qu’il a signé avec les 27 après que son directeur général en a dévoilé certaines clauses confidentielles.

Ce jeudi, AstraZeneca a finalement accepté de publier les dispositions du contrat conclu avec l’Union européenne et a dit vouloir faire des propositions vendredi pour en améliorer les termes, selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Si le laboratoire ne serait toujours pas en mesure de livrer les 80 millions de doses promises au premier trimestre, les volumes pourraient tout de même augmentés pour atteindre des chiffres bien supérieurs aux 31 millions de doses qui avaient été précédemment annoncées.

> Bruxelles va contrôler ses exportations

Pour éviter qu’un tel épisode se reproduise, Bruxelles a de son côté annoncé la mise en place d’un mécanisme visant à contrôler les acheminements hors de l’UE des vaccins contre le Covid-19 produits sur son sol et l’interdiction des exportations non "légitimes".

Ce "mécanisme de transparence et d'autorisation pour l'exportation", qui doit être adopté vendredi par la Commission européenne, est une "mesure d'urgence", ont expliqué des responsables européens devant la presse. Il permettra d'obtenir des informations sur l'exportation hors du bloc des vaccins contre le Covid-19 produits dans des usines localisées dans l'UE, l'une des principales régions productrices de vaccins dans le monde.

En pratique, les entreprises voulant acheminer des vaccins hors de l'UE devront contacter les autorités de l'Etat membre où est située l'usine afin d'obtenir un feu vert, qui devrait en principe être accordé "en l'espace de quelques heures", soutient un haut responsable européen.

Des exceptions, notamment pour les acheminements à visée humanitaire, sont prévues. "Il sera possible, dans certaines circonstances, de ne pas donner d'autorisation", et ce "dans de rares cas", mais "le principe de base est que les exportations prévues auront bien lieu", selon un autre responsable. Et d'insister: "Il ne s'agit pas d'une interdiction des exportations. Ce n'est pas notre intention (...) L'idée est que tout le monde, dans un contexte possible de tensions, soit assuré que ces exportations sont légitimes", et ne se font pas au détriment des contrats signés avec l'UE.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco