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TOUT COMPRENDRE - Pourquoi l'Ukraine accuse Auchan d'être une "arme de l'agression russe"

Selon une enquête de médias internationaux, Auchan participé à une collecte de matériel et de denrées alimentaires d'un montant de 25.000 euros pour l'armée russe. La direction se dit "surprise" et assure "ne pas fournir de façon volontaire" les forces russes.
"L'année dernière, j'ai exhorté le monde à boycotter Auchan pour ne pas avoir réussi à se retirer de Russie et à cesser de financer des crimes de guerre. Cependant, la réalité semble bien pire: Auchan est devenu une arme à part entière de l'agression russe."

Le ministre ukrainien des affaires étrangères Dmytro Kuleba n'a pas mâché ses mots ce vendredi pour qualifier le distributeur français sur Twitter.

L'homme qui se désolait il y a un an "que les pertes d’emploi en Russie [étaient] plus importantes que les morts en Ukraine" assure désormais qu'il va parler du cas Auchan à son homologue française Catherine Colonna.

• Que reproche-t-on à Auchan?

Selon une enquête publiée par le journal Le Monde en collaboration avec le site d'investigation The Insider et l'ONG Bellingcat, une collecte de produits destinés à l'armée russe, d'une valeur totale de 2 millions de roubles (environ 25.000 euros), aurait été organisée au sein de la filiale locale d'Auchan en Russie.

Les faits allégués remontent au 15 mars 2022, soit près d'un mois après le début du conflit en Ukraine. À cette date, une certaine Natalya Z., contrôleuse de gestion pour le groupe de distribution français en Russie, fait parvenir une liste de produits dans un tableau Excel à une vingtaine d'employés de magasins Auchan situés dans la région de Saint-Pétersbourg.

Cette liste comprend notamment des chaussettes en laine de taille 43 ou 44, des cartouches de réchauds à gaz, des haches, des clous, des ragoûts de porc en conserve ou encore des paquets de cigarettes. Une liste qui semble davantage correspondre à des provisions et du matériel pour l'armée qu'une aide humanitaire pour population civile.

Cinq magasins prennent donc sur leurs stocks pour fournir gratuitement ces marchandises d'une valeur de 2 millions de roubles (25.000 euros). La cargaison est récupérée une semaine plus tard devant un sixième magasin, selon Alekseï R., un ancien employé d'Auchan en Russie qui assiste à la scène. Présente sur les lieux de la collecte, la contrôleuse de gestion aurait affirmé à l'ex-employé que "ces cartons étaient ­destinés à l’“opération spéciale”", soit le nom donné par le gouvernement russe à la guerre menée en Ukraine.

De plus l'enquête révèle que des nombreuses collectes et des conteneurs gérés par des associations locales seraient alimentés par des magasins Auchan. Des organisations comme une ONG nommée "Personnes proches" qui expose sur son compte Telegram des images de livraisons de produits et de provisions sur le front ukrainien dans la région du Donbass aux soldats russes.

Le distributeur français assure avoir été "extrêmement surpris" par les allégations de soutien de l'armée russe.

Si Auchan ne remet pas en cause la réalité de la commande, il en donne une version sensiblement différente que celle présentée de l'enquête.

"En mars 2022, nous recevons une commande de la mairie de Saint-Pétersboug comme nous en avions déjà reçu plusieurs avant la guerre et comme nous en recevons dans de nombreuses communes dans le monde pour aider des sans-abri par exemple, explique-t-on à BFM Business du côté de la direction. Nous avons préparé la commande qui nous a été réglée au prix, sans réduction. Ce n'était pas de nature à susciter des interrogations chez nos équipes."

La nature des produits commandés aurait-elle pu mettre la puce à l'oreille des équipes commerciales?

Auchan assure que non.

"Il n'y avait pas que les produits cités dans l'enquête mais aussi des biscuits, des lingettes, de la viande, détaille le groupe. Et concernant les haches, nous n'en avons pas fourni car nous n'en vendons pas."

Enfin, concernant l'élément qui lierait la commande à l'armée russe, à savoir la déclaration de la contrôleuse de gestion Natalya Z. selon laquelle la livraison était destinée à l'opération spéciale, là encore la direction réfute les informations.

"Natalya nie catégoriquement avoir tenu les propos qui lui sont prêtés, assure la direction. La personne qui rapporte ce propos ne travaille plus chez nous depuis septembre dernier contrairement à ce que la photo d'illustration de l'article laisse entendre [il y porte une veste aux couleurs d'Auchan]."

"Nous ne finançons et participons de façon volontaire et active à aucune collecte destinée aux forces russes", tient enfin à rappeler la direction.

Outre la déclaration du ministre des Affaires étrangères ukrainien, la direction locale du distributeur s'est dite "choquée par les informations publiées".

Dans un message posté ce vendredi sur Facebook, Auchan Ukraine explique avoir "demandé des explications au bureau français"

"Ils nient cette information. Nous attendons la communication officielle", peut-on lire.
"Auchan Ukraine a fourni une assistance aux Ukrainiens pour plus de 60 millions de hryvnias", soit 1,5 million d'euros, depuis le début de la guerre, a précisé la filiale dans un message transmis à l'AFP.

Présent depuis 2002 en Russie, le cinquième distributeur français y est propriétaire de 232 magasins pour un chiffre d'affaires de 3,2 milliards d'euros avant la guerre en Ukraine et 30.000 salariés. Même si le groupe n'était pas au mieux dans le pays avant le début du conflit, l'activité russe représentait tout de même près de 10% du chiffre d'affaires total du groupe.

Déjà interpellé en mars dernier par le président ukrainien devant le Parlement français, le groupe Auchan avait alors estimé que "partir serait imaginable sur le plan économique mais pas du point de vue humain".

"Il est facile de nous critiquer, mais nous on est là, on fait face et on agit pour la population civile, avait répondu le PDG International du groupe Yves Claude dans Le JDD. Je me pose des questions tous les jours, car la décision n'est pas simple à prendre, mais je suis convaincu que c'est la bonne. Je me sens soutenu par mes actionnaires, mes collaborateurs et nos partenaires sociaux" mais aussi par des hommes politiques."

Selon l'Université de Yale qui fait un recensement quotidien des multinationales présentes en Russie, Auchan fait partie des 23 grandes entreprises françaises qui n'ont mis aucun frein à leur activité en Russie. Dans cette liste on trouve notamment Bonduelle, Etam, Faurecia, Valéo, Vinci, Lactalis, Bic, Lacoste, Clarins ou encore Camille Albane.

Mais l'étude de l'Université précise que de nombreuses entreprises françaises restent présentes sur le territoire mais ont seulement mis en sommeil des investissements ou réduit leur activité. C'est le cas d'Yves Rocher, de Blablacar, d'Accor, du groupe Seb ou encore de Sanofi.

Selon une étude universitaire suisse, sur les 1284 entreprises étrangères toujours présentes en Russie à fin 2022, 5,6% seraient françaises, soit environ 70.

Ce sont les entreprises allemandes qui ont encore la plus forte présence en Russie avec 19,5% des multinationales recensées devant les chinoises (16,4%), les américaines (12,4%), les japonaises (7%), les italiennes (6,3%), les britanniques (5,8%) et enfin les françaises (5,6%).

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco