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Telefonica vend ses "tours" pour 7 milliards d'euros, une tendance de fond chez les opérateurs télécom

Une antenne de téléphonie mobile 5G

Une antenne de téléphonie mobile 5G - NICOLAS ASFOURI © 2019 AFP

L'annonce du groupe espagnol est le dernier exemple d'une longue liste de cessions qui permettent aux opérateurs de générer rapidement du cash pour réduire leurs dettes et financer leurs colossaux investissements.

Le groupe espagnol Telefonica a annoncé mercredi la vente pour 7,7 milliards d'euros de sa filiale de tours de télécommunications Telxius en Europe et en Amérique latine à l'américain American Tower Corporation. Ce sont ces tours ou pylônes qui accueillent les antennes radio 3G/4G/5G des opérateurs.

L'opération concerne 31.000 sites en Espagne, Allemagne, Brésil, Pérou, Chili et Argentine et rapportera une plus-value de 3,5 milliards d'euros au groupe, explique Telefonica dans un communiqué.

Cette cession de parcs d'antennes est loin d'être la seule dans l'univers des télécoms en Europe et dans le monde. Il s'agit en fait d'une tendance de fond qui permet aux acteurs du secteur d'obtenir rapidement beacoup de cash pour réduire leurs dettes et financer des investissements toujours plus élevés dans un contexte de revenus stables.

Bouygues Telecom, Free et SFR l'ont fait

Le mouvement a débuté aux Etats-Unis dans les années 2010-2015 chez T-Mobile US, AT&T et Verizon. En Europe, Telecom Italia ou le suisse Sunrise ont déjà cédé leurs tours. En 2017, Bouygues Telecom vendait 1800 tours à l'espagnol Cellnex pour 500 millions d'euros après en avoir cédé 200 en 2016.

En 2018, le français Altice (la maison-mère de SFR et de BFM Business) a réalisé deux ventes de ce type afin de faire baisser une dette qui atteignait au moment de ces cessions presque 32 milliards d'euros. Le fonds KKR prennait une participation minoritaire dans SFR TowerCo (10.000 tours détenues par SFR dans l'Hexagone) pour 2 milliards d'euros, Morgan Stanley s'offrait 3000 tours au Portugal (Altice y possédait Portugal Telecom) et 1000 sites étaient vendus en République dominicaine.

En 2019, des rumeurs insistantes laissaient croire qu'Orange, le premier opérateur français en termes de nombre d'antennes, allait faire de même tandis qu'Iliad (Free) finalisait la cession de ses pylônes en France et en Italie à l'espagnol Cellnex pour 2 milliards d'euros.

Il faut dire que ces actifs suscitent l'appétit de plusieurs acteurs: des fonds d'investissements qui y voient des perspectives de plus-values rapides ou encore des sociétés spécialisées dans ce type d'infrastrctures, les "tower co" qui louent ensuite ces sites... aux opérateurs. Ces entreprises ont aujourd'hui le vent en poupe, en Chine, China Tower qui possède presque 2 millions de pylônes a levé 7 milliards de dollars lors de son introduction en Bourse en 2018.

Révolution culturelle

Dans le même temps, les opérateurs télécoms ont digéré une sorte de révolution culturelle, acceptant de vendre des actifs pourtant jugées ultra-stratégiques.

Mais encore une fois, la pression de la dette d'une part, des revenus en Europe (et surtout en France) quasi-stables avec des prix au plus bas, la concurrence des GAFAM sur les services à valeur ajoutée et des investissements colossaux à consentir (plus de 10 milliards d'euros en France en 2020 par exemple dans la fibre optique, la 5G...) obligent ces acteurs à trouver des leviers pour générer rapidement du cash.

Pour les analystes, il s'agit "d'optimiser" les actifs, avec "un nouveau modèle économique" en rupture avec l'approche "de propriétaire" qui était jusque-ici la norme. Schématiquement, les opérateurs préfèrent désormais dépenser dans le spectre et les services plutôt que dans le foncier.

Risques

Mais pour d'autres, c'est une prise de risque. "Nous pensons que ce modèle light, avec un nombre d'actifs réduits à son minimum, nuit à la stratégie. Nous pensons au contraire que, dans cette industrie très capitalistique, plus un opérateur a le contrôle de ses infrastructures, plus il peut réduire ses charges, gagner en efficacité et différencier ses services", estime Moody's Investor Service. 

"L’affaiblissement de la maîtrise de ces infrastructures critiques est préoccupant" estime un autre expert cité par Le Figaro, craignant que les opérateurs télécoms qui ont cédé tout ou partie de leurs infrastructures soient "à la merci d’un changement de la politique de gestion de leurs investisseurs".

Pour garder la main sur ces actifs, les opérateurs peuvent néanmoins opter pour la création d'une entreprise à part, avec un investisseur tiers, mais où il garde le contrôle capitalistique. Reste que l'opération est moins rentable financièrement.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business