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Scaf: le PDG de Dassault Aviation dévoile l'esquisse de son plan B

Eric Trappier, patron de Dassault Aviation, devant la maquette du Scaf en juin dernier lors du salon du Bourget

Eric Trappier, patron de Dassault Aviation, devant la maquette du Scaf en juin dernier lors du salon du Bourget - Eric Piermont - AFP

Lors d'une audition au Sénat, Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, a alerté sur les risques de donner à ses concurrents allemands et espagnols les secrets du futur avion de combat et envisage un plan B.

Le Scaf est dans une passe délicate. Les discussions avec les Allemands autour système aérien de combat du futur basé sur le New Generation Fighter (NGF) s'enlisent.

Le programme de futur avion de combat européen, un système connecté incluant aussi des drones, vise à remplacer à l'horizon 2040 les avions Rafale et Eurofighter. Officiellement et contractuellement maître d'œuvre du projet, Dassault n'est pas favorable à un partage des brevets qu'il a déposés comme le réclament désormais les Allemands.

Par ailleurs, l'arrivée de l'Espagne dans ce projet européen pourrait peser sur les décisions. Les Espagnols seraient prêts à s'allier avec le partenaire qui leur garantira de bénéficier des développements pour son industrie.

Mercredi 10 mars, Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, a été auditionné par la commission Affaires étrangères et défense présidée par Christian Cambon sur ce différent et sur les issues possibles*.

La règle du un tiers, un tiers, un tiers

Éric Trappier défend âprement sa position. Pour lui, les brevets appartiennent à celui qui les crée, non à ceux qui les financent. "La coopération avec l'Allemagne ne doit pas être marqué du sceau du 'quoi qu'il en coûte'", réplique le dirigeant.

"Donner notre savoir-faire aux Allemands et aux Espagnols ce n'est pas possible. Si on donne notre background aujourd'hui parce que j'estime que la confiance s'est instaurée sur un programme de long terme, ça marche, mais si je le donne et que dans deux ans il n'y a plus de programme, comment serais-je protégé face à la concurrence?", prévient Éric Trappier.

Et en cas de désaccord total, il a récemment évoqué un plan B. "Je n'en parlerai pas encore" a déclaré Éric Trappier en ajoutant qu'il ne repose pas sur un plan en solo. Ce serait techniquement possible, mais le budget serait exorbitant .

Les sénateurs ont néanmoins réussi à lui faire dévoiler ce plan, pas dans les détails, mais dans l'esprit. Pour Éric Trappier, c'est la gouvernance à trois qui cause des problèmes et l'idée serait de réduire le poids de l'Allemagne dans le programme Scaf

"Mon plan B c'est de trouver une méthode de gouvernance qui permettent d'emmener des Européens, mais pas dans les règles qui ont été fixées aujourd'hui car ça ne marchera pas", explique le patron de Dassault Aviation.

Selon lui, la règle du un tiers, un tiers, un tiers, dessert à la fois les intérêts de Dassault, et ceux de la France.

"Nous sommes un couple à trois. Si je donne un à l'Allemagne, je dois donner un à l'Espagne". En cas de refus, "l'arbitrage remontera aux DGA des trois Etats, il y aura deux contre un et j'aurais toujours tort. Comment défendre notre leadership dans une organisation de ce type", interroge Éric Trappier.

Le syndrôme de l'Eurofighter

L'idée pourrait être de faire entrer d'autres partenaires dans le programme Scaf. Lesquels? Eric Trappier ne le dit pas mais rappelle la réussite en 2014 du nEUROn, ce drone de combat né d'un partenariat à six pays européens: France, Italie, Suède, Espagne, Grèce et Suisse via cinq entreprises autour de Dassault Aviation: BAE Systems, Rolls-Royce, Safran, Thales et Selex ES.

"Pour 450 millions d'euros, dont la moitié payée par la France, on a fait voler un drone ultrafurtif de la taille d'un Mirage 2000 avec des performances supérieures aux spécificités de départ, rapidement et à six pays", rappelle Éric Trappier en ajoutant qu'avec le Scaf, "les équilibres sont rompus. Si nous n'avons pas les manettes pour piloter, on fera un Eurofighter. Ce serait un crève-cœur".

Pour une nouvelle organisation, Éric Trappier admet qu'il ne peut rien décider. "Ce sont des décisions politiques. J'ai besoin du soutien des parlementaires pour évoquer le déséquilibre". Le patron de Dassault Aviation a-t-il le soutien du gouvernement? "Oui, je suis soutenu par la ministre", a-t-il répondu aux sénateurs sans nommément citer Florence Parly.

Interrogée lors d’une discussion du "Club de l’Économie" du journal Le Monde (le site est actuellement bloqué depuis l'incendie du datacenter d'OVH), la ministre des Armées, Florence Parly, a soulevé ces problèmes et se dit "optimiste".

"Nous avons demandé, avec ma collègue, la ministre allemande de la Défense, Mme Kramp-Karrenbauer, aux industriels de poursuivre les discussions pour aboutir, si possible, à un accord", a déclaré Florence Parly. Un "si possible" qui en dit long.

Cette annonce va-t-elle inciter l'Allemagne à revoir à la baisse ses exigences? A voir mais le temps est compté. Le démonstrateur du Scaf prévu en 2026 a déjà été repoussé d'un an. Et l'approche d'un tunnel électoral d'abord en septembre pour l'Allemagne, puis en 2022 pour la France, risquent de perturber les négociations.

*L'audition d'Eric Trappier est visible sur le site du Sénat.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco