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Réductions de la production pétrolière: l’Arabie saoudite et la Russie en chefs de file

Par surprise, l’Arabie saoudite, la Russie et une dizaine d’autres pays producteurs de pétrole ont décidé de couper dans leur production à partir du mois de mai. Leurs intentions sont multiples.

Une décision qui a pris tout le monde de court. La veille du week-end encore, des délégués parmi les 23 membres de l’alliance pétrolière autour de l’Arabie saoudite et de la Russie assuraient que le cap ne serait pas modifié lors de la réunion virtuelle de l’OPEP+. Formellement, les plus de 1,6 million de barils de brut cumulés qui vont être retirés du marché ne relèvent pas d’une décision en bloc, mais d’une addition d’initiatives "volontaires", où chacun préfère évoquer une simple mesure de "précaution". Et malgré cet indéniable effet de déstabilisation, le représentant d’un des Etats producteurs affirme que l’intention n’était que d’envoyer un "message positif" au marché juste avant la rencontre officielle de lundi.

Pour Ole Hansen, le stratège en matières premières de la banque danoise Saxo, cette décision collective est "sortie de nulle part". Dans des propos rapportés par MarketWatch, il estime surtout que cela montre à quel point le ministre saoudien de l’Energie "adore prendre le marché à contre-pied", en particulier lorsqu’il s’agit de "nuire" aux vendeurs à découvert.

L'Arabie saoudite contrariée

Toutefois, le numéro 1 de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole ne vise pas qu’une spéculation adverse. Il se pourrait tout à fait, d’après différentes analyses, que l’Arabie saoudite ait voulu manifester toute sa contrariété au gouvernement américain, qui a affirmé sa volonté de prendre "des années" pour reconstituer ses réserves stratégiques de pétrole, après avoir pourtant assuré à Riyad qu’il agirait dans ce sens, dans les meilleurs délais, dès que les cours baisseraient.

Si ce qui a été décidé ce dimanche constitue bien un rappel à l’ordre, les Saoudiens peuvent se le permettre puisqu’ils ont bien moins à craindre d’une stimulation à court terme de productions alternatives, le résultat d’un sous-investissement chronique à l’échelle mondiale dans l’exploration et l’infrastructure pétrolières. Avec une telle maîtrise à présent des structures de l’offre, un expert à Londres explique en tout cas que cette alliance des 23 peut anticiper sans encombre un éventuel affaiblissement de la demande du fait de la crise bancaire en gestation aux Etats-Unis et en Europe.

Des restrictions "pas souhaitables"

Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche a aussitôt affirmé que ces restrictions par l’OPEP+ ne sont pas "souhaitables" et que cela a été "clairement signifié" aux intéressés. Cette irritation apparaît d’autant plus prononcée que le gouvernement américain n’est pas en mesure de riposter rapidement sur le marché, dès lors qu’il a déjà revendu à peu près la moitié de ses réserves d’urgence. D’ailleurs, une spécialiste à New York juge mal venu que l’administration Biden se plaigne alors qu’elle n’a pas mis à profit des baisses temporaires de cours pour réapprovisionner ses stocks.

Mais, à la rigueur, ce paramètre technique ne serait que périphérique, parce qu’il y a aussi une conviction qu’une diplomatie fluctuante des Etats-Unis au Moyen-Orient ne fait que pousser les monarchies du Golfe à renforcer leur alliance avec la Russie dans les hydrocarbures.

Vu de Moscou

Pour justifier le mouvement de ce week-end, Moscou avance la crise bancaire occidentale et l’incertitude économique mondiale. Son vice-premier ministre, Alexander Novak, met en cause "des décisions imprévisibles et à courte vue" en matière de politique énergétique. Pour le quotidien économique russe Kommersant, "les principaux pays de l’OPEP ne nous ont pas laissés tomber". En déduire que vu de Moscou, il va devenir plus difficile pour les Occidentaux de faire respecter leur plafonnement par le G7 et l’UE des prix du pétrole russe, décidé en décembre dernier. Le Japon, lui-même membre du G7, vient d’obtenir une dérogation sur ce point afin de faciliter ses propres approvisionnements et il n’est pas à écarter que d’autres la réclament à leur tour.

Il y aura lieu de suivre, par ailleurs, les réactions en Inde et en Chine. Les Indiens, qui achètent toujours plus massivement du brut aux Russes, vont tout de même être contraints de resserrer leur politique monétaire davantage que ce qu’ils escomptaient. Quant aux Chinois, ils pourront juger ne pas vraiment être payés en retour de leurs efforts fructueux de médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ainsi que de leur partenariat stratégique avec la Russie.  Les cours de vente de brut au jour le jour n’opèrent pas de distinction entre Etats consommateurs en fonction de leurs orientations.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international