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Les Etats-Unis allègent les sanctions contre le Venezuela, une aubaine pour le secteur pétrolier?

Le Trésor américain lève des mesures punitives contre le Venezuela après un compromis électoral entre le pouvoir et l'opposition. Le pétrole vénézuelien va couler (un peu) plus facilement.

L’administration démocrate américaine a mis un terme, mercredi, à huit années de durcissement des sanctions à l’encontre du pouvoir en place au Venezuela. L’allègement des mesures punitives décidé s’avère certes limité, mais enclenche un nouveau cycle politique avec ce chef de file du socialisme latino-américain. Avec en creux, entre autres, la question du pétrole vénézuélien.

La veille à la Barbade, sous une facilitation de la Norvège, le gouvernement "bolivarien" de Nicolas Maduro a conclu avec la Plateforme unitaire de l’opposition, soutenue par les Etats-Unis, deux accords sur les garanties pour l’élection présidentielle du second semestre 2024, dont le libre choix des candidatures et l’observation internationale du scrutin.

Subtil dosage

En réponse à "ces développements démocratiques", le département américain du Trésor annonce autoriser les transactions relatives aux secteurs vénézuéliens des hydrocarbures et aurifère. Le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC), chargé de la mise en œuvre des sanctions extérieures, délivre pour cela quatre licences générales. Pour ce qui concerne les ventes de pétrole et de de gaz, l’aval de Washington est fixé pour six mois. Quant à l’or, traiter avec la compagnie publique Minerven redevient possible, et sans date butoir, ce qui d’après le ministère américain des Finances aura pour effet de réduire le commerce de cet or vénézuélien sur le marché noir.

Par ailleurs, Washington supprime l’interdiction de négocier sur le marché secondaire certains bons d’Etat du Venezuela et les titres de dette de la compagnie pétrolière publique PDVSA. En revanche, les Etats-Unis vont continuer d’empêcher l’acquisition de nouvelles obligations vénézuéliennes, celles émises sur le marché primaire. Le Trésor américain considère que ce subtil dosage aura pour effet favorable d’évincer "les acteurs néfastes de ce marché" et "avec un bénéfice financier négligeable pour le régime" de Nicolas Maduro. Pour sa part, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, prévient qu’un "non-respect des termes" du compromis signé à la Barbade remettrait en cause la levée des sanctions.

Libre de sanctions

Caracas préfère ne pas s’appesantir sur cette insistance américaine à baliser strictement le chemin. Le président Maduro a déclaré à la télévision qu’il espérait recevoir "bientôt" la visite du chef de la mission diplomatique des Etats-Unis, nommé en mai dernier, qualifié d’"ami" et d’"ambassadeur", quand bien même celui a rang de chargé d’affaires - le rang au-dessous. En détaillant les points de l’accord avec l’opposition, le principal négociateur officiel, Jorge Rodriguez, a proposé que le chef de l'Etat convoque dès la semaine prochaine "tous les secteurs de la vie politique, sociale, économique et culturelle", afin de parvenir à une "vie dans notre pays qui soit libre de sanctions".

D’ici à la présidentielle, l’objectif du pouvoir socialiste sera de démontrer qu’il a pu relancer aussi bien les rentrées budgétaires que la machine productive, sortir enfin la nation d’une crise humanitaire qui a conduit 7 millions des siens à la quitter. Le Venezuela doit donc d’abord faire remonter son extraction de pétrole, dont il possède toujours les plus grandes réserves prouvées au monde. Le secteur s’est effondré: en 2013, selon les calculs du bureau norvégien d’analyse Rystad Energy, ce membre fondateur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole sortait encore 2,8 millions de barils de brut par jour. Dix années plus tard, la production quotidienne a été divisée par quatre, ce qui a fini par évincer Caracas du premier cercle des décideurs de l’OPEP.

Rocher diplomatique

La gestion interne de PDVSA est largement jugée calamiteuse. Et du fait de l’embargo américain, l’entreprise est contrainte de fonctionner avec des équipements obsolètes, ce qui fait qu’elle ne possède pratiquement plus de capacités nouvelles de forage. Les spécialistes évaluent les besoins d’investissements à plusieurs milliards de dollars. Dans cette configuration, jusqu’ici afin d’assurer un minimum vital de recettes en devises, il a été privilégié de consacrer le rebond relatif de la production depuis 2022 essentiellement au marché chinois, vers qui se dirigent les 3/5e des volumes exportés.

Avec la levée partielle des sanctions américaines, les analystes de Rystad Energy tablent sur une hausse de la production dans les six mois de 200 000 barils-jours, tout au plus. Les arbitrages de Caracas en faveur du client historique américain aux dépens du débouché central chinois risquent donc de se révéler périlleux. En tout état de cause, les raffineries aux Etats-Unis traiteraient favorablement ce surcroît de brut extra-lourd spécifique au Venezuela, du type de celui que l’on trouve en Russie. La place de la major américaine Chevron pourrait alors se renforcer dans la production vénézuélienne, d’autant qu’elle bénéficie déjà d’une dérogation du Trésor américain depuis bientôt un an.

Autre volet à faire avancer, celui du gaz. L’ambition du gouvernement vénézuélien serait de pouvoir en exporter en partenariat avec Trinidad-et-Tobago, à partir de gisements offshore communs dans les Caraïbes. Les Etats-Unis ont accepté de renoncer à une mesure qui aurait empêché PDVSA d’écouler cette future production conjointe en dollars. Le mois dernier, le Premier ministre trinidadien, Keith Rowley, évoquait encore, à ce sujet, un "énorme rocher diplomatique poussé vers le haut d’une colline depuis 2018". Il semble bien que Washington ait accepté de lever la condamnation de Sisyphe.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international