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Le facteur Jeux olympiques de Pékin dans la crise autour de l’Ukraine

La Chine prend le parti de la Russie dans le risque de conflit militaire en Ukraine, mais les États-Unis comptent, un peu, sur l’imminence des JO d’hiver de Pékin pour dissuader Moscou de passer à l’offensive.

Une semaine avant l’arrivée du président Vladimir Poutine à Pékin, comme invité de marque de la cérémonie des Jeux olympiques d’hiver, la Chine entend que les préoccupations "légitimes" de la Russie en matière de sécurité soient prises en compte et "traitées" par les Etats-Unis. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a joint au téléphone le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, en réclamant de Washington et ses alliés de ne pas "exagérer" la crise autour de l’Ukraine

Dans le compte-rendu officiel chinois, Wang Yi a déclaré à son homologue que "la sécurité régionale ne doit pas être garantie par une expansion des blocs militaires", ce qui correspond à la thèse de Moscou: en voulant toujours davantage s’élargir vers l’Est, c’est bien l’Alliance atlantique qui menace la Russie et non l’inverse. En début de semaine, dans son éditorial, le China Daily, un quotidien du Parti communiste chinois à vocation extérieure, a prié l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) de "se trouver un cerveau rationnel".    

Intégrité territoriale de l’Ukraine

En soi, cette prise de position de Pékin n’est pas inédite. A l’issue de l’entretien à la mi-décembre entre les chefs d’Etat chinois et russe, le principal conseiller diplomatique du Kremlin, Youri Ouchakov, a affirmé que Xi Jinping avait assuré à son "ami", soutenir "totalement" les initiatives russes visant à obtenir les "garanties de sécurité". 

Quitte à admettre, le cas échéant, que soit bafoué un principe général ancré dans le discours chinois de politique étrangère: le caractère inviolable de l’autorité de tout État dans ses frontières. Sur son compte Twitter, le professeur de droit constitutionnel à l’Université Hofstra (New York), Julian Ku, passé par des établissements chinois et taïwanais, exprime ainsi tout son étonnement renouvelé face à "l’absence de la moindre référence de la diplomatie chinoise à la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine".

"Invasion probable"

Joint par BFM Business, le directeur du Centre d’études américaines de l’Université Renmin (Pékin), par ailleurs conseiller gouvernemental, considère que ceci ne relève que d’une "question d’arithmétique de politique internationale", dans le cadre d’une "para-alliance" sino-russe face au rival américain. Shi Yinhong pense, dès lors, que son pays "ne s’opposera pas publiquement, de quelque manière que ce soit, à l’invasion probable de l’Ukraine par la Russie", sans toutefois la soutenir. Il ajoute que son gouvernement s’opposera, par la suite, à toute sanction occidentale, sans pour autant faire "directement" quoi que ce soit "pour y porter atteinte".

Mais au-delà de ces subtilités, comment la Chine pourrait-elle alors affirmer qu’elle ne s’aligne derrière les intérêts d’aucune puissance ? À l’instar d’autres analystes chinois de premier plan, cet expert reconnaît sans ambages que les propos du ministre des Affaires étrangères vont, effectivement, dans le sens de Moscou. Mais il souligne qu’en appelant dans la foulée au calme "toutes les parties", englobant donc y compris la Russie, et "à ne rien faire qui accroisse la tension", ce soutien de la diplomatie chinoise en est "immédiatement atténué". En conséquence, il n’y aurait pas d’alignement. 

Scénario Géorgie 2008

C’est là que Pékin escompte une prise en considération par le Kremlin de ses propres préoccupations de politique étrangère. À très court terme, il s’agit de la pleine réussite des Jeux olympiques, à partir du 4 février. L’événement ne doit pas être éclipsé par une guerre en Europe.

Sous ce prisme, il apparaît significatif que dans un autre journal du Parti communiste chinois à vocation extérieure, le Global Times, un spécialiste de la Russie au sein de l’Académie chinoise des sciences sociales dise "espérer" que ce qui s’est déroulé en Géorgie en août 2008 "ne se reproduise pas". Un affrontement éclair avait eu lieu entre armées russe et géorgienne, alors que se déroulaient les JO d’été, à Pékin déjà. Pour Yang Jin, surtout, il ne faudrait pas que les Ukrainiens s’enhardissent, comme à l’époque les Géorgiens, croyant que l’appui des Etats-Unis leur permette de "provoquer" les Russes. 

"Xi Jinping ne serait pas ravi"

Washington perçoit cet événement politico-sportif majeur comme un moyen de retarder les échéances de quelques semaines. Mercredi, la numéro 2 du Département d’Etat américain, Wendy Sherman, principale interlocutrice de Moscou dans leurs pourparlers stratégiques, a déclaré penser que le président Xi Jinping ne serait pas "ravi" si son homologue russe "choisissait ce moment pour envahir l’Ukraine", ce qui, d’après elle, "pourrait affecter son timing et sa réflexion".

De ce point de vue, dans l’immédiat au moins, les États-Unis ne suivent pas le même  raisonnement que le Royaume-Uni. Lors d’un récent déplacement en Australie, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a avancé l’hypothèse d’une "agression militaire" de la Chine au Pacifique, précisément à la faveur d’une offensive russe sur Kiev.

Mais l’insistance des Etats-Unis à évoquer le paramètre des JO agace quand même au plus haut point les Chinois. Le ministre Wang Yi, lors de son entretien téléphonique avec le secrétaire d’Etat Blinken, lui a explicitement demander que les États-Unis cessent "d’interrompre" ces Jeux de 2022. Pékin venait d’opposer un virulent démenti aux confidences présumées d’un diplomate, cité de façon anonyme par l’agence de presse américaine Bloomberg, selon qui le chef de l’Etat chinois avait requis de Vladimir Poutine de ne pas attaquer l’Ukraine pendant cet événement. "Pure fiction et diffamation", à en croire le ministère chinois des Affaires étrangères. 

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international