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La place des programmes britanniques jugée "disproportionnée" au sein de l'UE par des diplomates européens

Le maintien de l’influence de l'industrie audiovisuelle du Royaume-Uni déplaît à des diplomates européens, pour qui la part de marché des programmes britanniques en VOD est trop importante au sein de l'UE.

Les conséquences de la séparation du Brexit sont encore loin d’être cernées dans leur ensemble. Un groupe de travail du Conseil de l’Union européenne juge qu’il y a trop de séries, d’émissions et de films britanniques sur les plateformes de streaming utilisées par les citoyens des 27.

Ce n’est pas la qualité de ce contenu qui est en question, mais une fois encore le fait, vu de Bruxelles, qu’une production post-Brexit, quelle que soit sa nature, ne saurait être traitée sur le même plan qu’auparavant.

Le document rédigé par ces diplomates européens, obtenu en premier par le quotidien britannique The Guardian, caractérise une incohérence: "Bien que le Royaume-Uni soit désormais un pays tiers pour l'Union européenne, son contenu audiovisuel peut toujours être considéré comme "œuvres européennes", selon la définition de la directive SMA (services médias audiovisuels)." L’appréciation de ces fonctionnaires européens est donc que le Royaume-Uni jouit, de fait, d’un privilège indu.

"Disproportionnée"

A ce titre, le groupe de travail considère comme "disproportionnée" la quantité de programmes britanniques diffusés en Europe, et entrave dès lors la variété des œuvres produites dans les pays des 27. La Commission européenne s’est ainsi vu confier la mission d’évaluer le risque que cela représente pour la "diversité culturelle" au sein de l’Union.

Une porte-parole du gouvernement à Londres maintient que la production britannique continue d’être considérée comme européenne. Selon son raisonnement, c’est simplement que l’offre britannique de "classe mondiale" convient à une demande, en l'occurrence celle du consommateur européen..

Le secteur au Royaume-Uni craint que cela ne suffise pas vraiment à dissuader les 27 de restreindre l’accès. La COBA, l'organisation qui défend les intérêts des diffuseurs britanniques, évoque un "coup dur" pour l’ensemble de la chaîne de valeur britannique, des producteurs aux diffuseurs en passant par les créatifs. Il faut voir que, pour eux, l’Europe, avec ses 570 millions d’euros d’achats annuels, représente le deuxième débouché après les Etats-Unis.

Libre-circulation

La remise en cause juridique de cette production britannique, considérée comme européenne mais sans l’être, pourrait s’accélérer à partir de janvier prochain, lorsque la France prendra la présidence tournante de l’Union pour un semestre.

De source européenne, l’Autriche, l’Espagne, la Grèce et l’Italie apporteraient leur soutien à une offensive française pour réviser la directive SMA, prise en 2010 et mise à jour en 2018. A priori, le texte est susceptible d'être encore remanié en 2024, ce qui signifie que les quotas de programmes britanniques ne sont pas pour tout de suite.

D’ici là, le Royaume-Uni compte surtout faire valoir qu’il reste partie à la Convention du Conseil de l’Europe de 1989 pour une libre-circulation des programmes de télévision sur le continent européen, un texte comprenant des Etats signataires qui ne sont pas membres de l’UE.

Soft power

Il en va au fond pour les Britanniques du maintien de leur "soft power", de leur capacité d’influence culturelle et médiatique au sein d’une construction politique qu’ils ont quitté. The Crown, Downton Abbey ou Top Gear, au succès planétaire, sont aussi les instruments de cette capacité. Ces programmes rentrent pleinement dans la panoplie du "Global Britain", le concept issu du Brexit visant à rehausser une ambition mondiale. Mais pour y parvenir, faut-il encore préserver l’acquis, c’est-à-dire le poids dans l'UE.

Et cette volonté des Britanniques de préserver et d’exercer une influence par la culture, dans tous ses aspects, est tout à fait assumée, même si elle peut aussi se révéler contradictoire, comme l'illustre le tollé politique soulevé par la décision du gouvernement de Boris Johnson de réduire les fonds alloués aux antennes du British Council, l’agence des échanges éducatifs et culturels dont le rayonnement est de dimension internationale.

Une centaine de parlementaires de l’opposition et de la majorité ont écrit au Premier ministre pour déplorer "une erreur stratégique", dans le sens où cela porterait un coup sévère au soft power britannique et "laisserait un vide que d’autres nations s’empresseront de combler". Celles de l'Union européenne assurément.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international