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Réforme des retraites: les mères de famille grandes perdantes?

La plupart des mères de famille verront leur pension baisse, selon l'IPS

La plupart des mères de famille verront leur pension baisse, selon l'IPS - FRED TANNEAU / AFP

Si le gouvernement répète que le futur système de retraite sera plus juste pour les femmes, l'Institut de la protection sociale affirme le contraire dans sa dernière étude.

Le gouvernement le martèle depuis des mois: la réforme des retraites qui doit instaurer un système universel par points en 2025 sera "plus juste" envers les femmes. Une étude de l’Institut de la protection sociale (IPS) relayée ce mardi dans Le Figaro vient pourtant le contredire. Selon les simulations réalisées par le laboratoire d’idées, le nouveau régime fera de nombreuses perdantes parmi les mères de famille et pas seulement celles ayant trois enfants comme l’affirmait l’exécutif.

Rappelons qu’actuellement, les deux parents bénéficient d’une majoration de leur pension de 10% à l’arrivée du troisième enfant dans le régime de base mais également dans le régime du secteur privé AgircArrco. La mère de famille jouit en outre d’une majoration de durée d’assurance qui apporte huit trimestres supplémentaires par enfant. Le nouveau système prévoit quant à lui une majoration de 5% par enfant à l’un des deux parents et la fin de la majoration de durée d’assurance.

Si l’âge légal de départ reste fixé à 62 ans, le rapport Delevoye instaure une décote de 5% par année d’anticipation avant l’âge pivot de 64 ans. Dans le régime actuel, la décote s’applique si le nombre requis de trimestres travaillés (172) n’est pas atteint lors du départ. À moins que le cotisant n’ayant pas le nombre de trimestres suffisants travaille jusqu’à 67 ans, auquel cas il pourra bénéficier d’une retraite à taux plein.

Un système défavorable aux mères de famille

Partant de ce postulat et alors qu’il "laisse penser que dans la plupart des situations, le dispositif serait plus favorable aux familles par rapport à la situation actuelle", le système de retraite universel par points formulé dans le rapport Delevoye pénalisera la plupart des mères de familles, selon l’IPS.

Prenons le cas d'une femme ayant un enfant et ayant validé 152 trimestres avec un salaire de 15.000 euros par an: sa pension diminuera de 750 euros par an entre le système actuel et le système futur. L'écart sera de 1250 euros pour celles gagnant 25.000 euros par an et de 2000 euros pour celles dont le salaire atteint 40.000 euros par an. Dans le cas où ces mêmes mères de famille auraient validé 172 trimestres, soit une carrière complète, la baisse sera encore plus importante: -1996 euros pour une mère d’un enfant avec un salaire annuel de 15.000 euros, -3326 euros pour un salaire de 25.000 euros et -5322 euros pour un salaire de 40.000 euros.

L'effet du nouveau régime de retraite sur les pensions sera encore pire pour les femmes ayant deux enfants. Dans le cas où elles n’auraient validé que 152 trimestres, la perte va de 1633 euros par an pour celles touchant 15.000 euros par an à 4354 euros pour celles gagnant 40.000 euros. Si elles ont cotisé 172 trimestres, l’écart est de 1935 euros (salaire de 15.000 euros par an) et de 5161 euros (40.000 euros par an).

Ecart des pensions des mères de un ou deux enfants entre le régime de retraite actuel et le futur
Ecart des pensions des mères de un ou deux enfants entre le régime de retraite actuel et le futur © IPS

Comment expliquer de telles différences? "La raison est simple: avec le nouveau système, les mères perdent l’effet levier que leur apporte la majoration de durée d’assurance aux carrières pour lesquelles il manque 20 trimestres ou moins pour atteindre le taux plein", note l’IPS, précisant que "la perte sera ainsi de l’ordre de 9,09% pour les mères d’un enfant alors qu’elles ont travaillé 38 années et de 17,21% si elles ont deux enfants".

Autrement dit, les mères de famille qui peuvent aujourd'hui atteindre plus facilement le taux plein à 62 ans grâce aux majorations de durée d'assurance, devront supporter une décote de 10% à l'avenir si elles partent à 62 ans, soit deux ans avant l'âge pivot. Décote qui "annihile largement la majoration des 5% par enfant", explique l'IPS. "Alors qu’il est présenté comme favorable aux carrière hachées, le nouveau dispositif est en réalité défavorable aux mères d’un et deux enfants", poursuit l’institut. 

Les familles de 3 enfants grandes perdantes

Pour les familles de trois enfants, c’est la "double peine". Non seulement elles perdent la majoration de durée d’assurance mais également la majoration de 10% au troisième enfant pour chacun des deux parents. Résultat, il sera beaucoup plus difficile de partir à la retraite à 62 ans sans subir de décote.

Qu’elles aient effectué une carrière hachée ou complète, les mères de trois enfants subissent une perte "d’une part très significative de leur retraite". Les hommes qui perdent eux aussi la majoration des trois enfants sont également touchés.

Ecart des la retraite des femmes ayant trois enfants
Ecart des la retraite des femmes ayant trois enfants © IPS
Ecart de la retraite des hommes ayant trois enfants
Ecart de la retraite des hommes ayant trois enfants © IPS

Au final, le nouveau dispositif s’avère seulement plus avantageux dans le cas des carrières validant trente années. "Les majorations de durée d’assurance n’ayant pas d’effet sur le taux de la retraite de base, le nouveau système de majoration de 5% par enfant génère un gain annuel qui demeure toutefois modeste", explique l’IPS.

Ainsi, pour 15 000 euros de salaire annuel, le gain sera de 112 euros par an pour les mères d’un enfant. Il sera de 132 euros pour 2 enfants. Dans le cas où le salaire annuel est de 40 000 euros, le gain sera de 297 euros par an pour les mères d’un enfant et de 352 euros si elles en ont eu deux.

L'âge pivot mis en cause

"Le paradoxe de la réforme Delevoye est qu’elle va pénaliser les femmes alors que le système actuel leur devenait plus favorable", assure l’IPS, expliquant que "nous sommes à un moment où les femmes ont augmenté de manière spectaculaire leur durée d’assurance, compensant à la fois l’allongement des études et l’augmentation de la durée. C’est justement ce moment que choisit le gouvernement pour proposer une réforme qui va fortement relativiser l’intérêt de la durée d’assurance".

Alors, pourquoi l’exécutif s’évertue à dire que le futur régime sera plus juste pour les femmes? En réalité, le gouvernement met surtout en avant les 25% de femmes "obligées de travailler jusqu’à l’âge du taux plein" pour éviter la décote, c’est-à-dire à 67 ans. Effectivement, celles-ci pourront partir avec une retraite à taux plein dès 64 ans dans le futur système.

Mais, indique l’IPS, le gouvernement "passe sous silence toutes les autres" femmes. Avant de conclure: "Et majoritairement celles qui allaient liquider leur retraite à l’âge de 62 ans, sans décote grâce notamment aux majorations de durée d’assurance, et qui vont devoir attendre 64 ans pour atteindre le taux d’équilibre". Reste à savoir si l'instauration d'un âge pivot telle que souhaitée par Jean-Paul Delevoye sera retenue par Emmanuel Macron dans le futur système. Et pour cause, le chef de l'État s'était montré particulièrement sceptique en évoquant cette proposition.

Paul Louis