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Quick commerce: le "business de la flemme" a-t-il encore un avenir?

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Licenciements, fermetures, rachats... Après des débuts tonitruants, les start-ups de livraison expresse de course marquent le pas. Entre quête impossible de rentabilité et contraintes administratives, l'avenir du quick commerce en France s'inscrit désormais en pointillets.

Le quick commerce sera-t-il une étoile filante? Après une ascension fulgurante en 2021, les services de livraison de course en moins de 10 minutes semblent marquer le pas. Alors que les start-up se multipliaient l'année dernière sur ce marché émergent né durant l'épidémie de Covid, depuis quelques mois les bourgeons semblent avoir rapidement fané.

Zapp, KOL ou encore Yango Deli ont cessé leur activité en France. BAM Courses, le service de quick commerce de La Belle Vie a abandonné sa promesse de livraison en 15 minutes pour un service en une heure. Et alors que les levées de fonds spectaculaires rythmaient l'actualité du secteur, ce sont désormais des licenciements qu'annoncent les grands acteurs. De Gorillas à Flink en passant par Getir ou Gopuff, ce sont plus de 7000 emplois qui ont été supprimés par les grands acteurs du quick commerce au niveau mondial.

S'ajoute à ça une concentration du secteur attendue mais qui arrive bien vite pour une activité qui a à peine deux ans d'ancienneté. Le géant Gopuff s'est offert le britannique Dija pour s'attaquer au marché européen. Et les Français plus fragiles sont des proies facile. En début d'année, Frichti a été repris par Gorillas et Cajoo a été avalé par l'Allemand Flink en mai dernier.

De 11 à 4 acteurs en un an

"Sur les 11 acteurs évoqués précédemment, il n’en reste aujourd’hui plus que quatre sur le marché français: GoPuff (leader aux Etats-Unis avec une valorisation de plus de 40 milliards d'euros), Flink (valorisation de 5 milliards après le rachat de Cajoo), Gorillas (3 milliards), et Getir (12 milliards)", observe la société de consultant Vertone dans une note.

Ils ne seront peut-être bientôt plus que trois. Malgré une expansion très rapide et une position de leader en France avec une part de marché de 61% selon Iri, Gorillas pourrait tomber dans l'escarcelle du turc Getir. Selon Bloomberg, les discussions entre les deux groupes seraient déjà bien avancées. L'Allemand cherchait depuis plusieurs mois à se rapprocher d'un concurrent pour atteindre la taille critique et accélérer dans sa quête de rentabilité.

La livraison express n'aura-t-elle été qu'une mode éphémère favorisée par les confinements et autres couvre-feux de la période Covid? Les données du panéliste Iri ne suggèrent en tout cas pas de ralentissement de la demande. Au premier semestre 2022, le quick commerce a représenté 174,5 millions d'euros de chiffre d'affaires selon Iri contre 122 millions sur l'ensemble de l'année passée. Le "business de la flemme" pour reprendre le qualificatif de Dominique Schelcher, le patron de Système U, semble donc pour le moment toujours séduire les consommateurs même si le panéliste constate un "ralentissement sur les trois derniers mois avec une croissance de "seulement" 64%".

Le problème est plutôt à chercher du côté du modèle économique et des marchés financiers. Pour rappel, ces services facturent en moyenne la livraison entre 2 euros. Or pour rentabiliser le coût d'un livreur (aux alentours de 18 euros de l'heure), ce dernier doit effectuer pas moins de 9 livraisons dans l'heure. La plupart des plateformes ayant fait le choix de livreurs en CDI plutôt que d'indépendants.

La livraison en 10 minutes abandonnée

Or pour financer ce service à perte, les plateformes n'avaient d'autre choix que de lever des fonds. Entre fin 2020 et début 2022, soit en à peine 18 mois, ce sont ainsi près de 7 milliards d'euros qui ont été levés par ces plateformes au niveau mondial.

"Mais les marchés financiers se sont brutalement retournés en début d'année et maintenant il devient très difficile pour elles de lever des fonds, constate Frank Rosenthal, consultant spécialisé dans le commerce. Les fonds d'investissement se demandent s'ils n'investissent pas en pure perte. Là où il y avait un enthousiasme, il y a désormais une suspicion."

Dans le contexte inflationniste de hausse des taux d'intérêt, les investisseurs ne signent plus de chèque en blanc. Pour rassurer leurs créanciers, les start-ups de quick commerce doivent donc montrer que leur activité n'est pas un puits sans fond. D'où la réduction des dépenses des derniers mois avec les nombreux licenciements.

Mais aussi la dégradation du service. Aujourd'hui, plus aucune plateforme ne promet une livraison en moins de 10 minutes comme c'était le cas à leur lancement. Les services tentent aussi de gonfler leur activité en proposant plus de produits à l'achat (comme de la petite électronique par exemple) ou planchent sur de nouveaux business models comme les abonnements de type Prime d'Amazon afin de proposer la livraison gratuite tout en ayant des revenus récurrents.

Reste que le volontarisme des plateformes, les fusions et les rachats ne suffiront peut-être pas à sauver le secteur. Les contraintes liées à l'urbanisme devraient largement handicaper leur déploiment. En septembre, le gouvernement a tranché en qualifiant les "dark stores" d'entrepôts, ce qui laisse au maire le pouvoir de décider de leur implantation avec le plan local d'urbanisme.

"Les maires ont gagné et comme ils sont nombreux, les plateformes vont devoir s'adapter au cas par cas, ville par ville, estime Frank Rosenthal. Ce revirement juridique c'est une très forte contrainte pour le quick commerce, ça signe peut-être même sa fin. Si une plateforme a un milliard d'euros à investir, c'est certain qu'elle ne le mettra pas en France."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco