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Quel est le montant d'un "salaire décent" selon les Français?

Selon une enquête de la Drees, il faudrait un minimum de 1983 euros par mois pour vivre. Une notion de "salaire décent" toutefois très subjective et critiquée par des économistes.

Le Smic est-il un salaire "décent"? Pour Florent Menegaux, le patron de Michelin, la réponse est non.

"Nous considérons, par exemple, que le salaire décent est de deux fois le Smic à Paris, et de +20% du Smic à Clermont-Ferrand, au siège de Michelin", détaille le patron auprès du Parisien.

Il n'y a pas de définition de "salaire décent" qui n'est évidemment pas une notion économique. Le patron de Michelin tente cependant d'en donner sa propre perception. C'est un montant minimum qui permettrait de loger et nourrir sa famille, de payer ses transports, de se soigner, d'éduquer ses enfants mais aussi d'acquérir des biens de consommation comme une voiture, de se payer des loisirs et des vacances et enfin de pouvoir se constituer une épargne de précaution.

Une description qui reste malgré tout très vague, chacun des éléments étant subjectif et sujet à interprétation. Quel logement? Quels biens de consommation et en quel nombre? Quels loisirs? Combien est-ce une épargne de précaution?

Florent Menegaux donne toutefois une fourchette.

"Le salaire décent est de deux fois le Smic à Paris, et de +20% du Smic à Clermont-Ferrand", avance-t-il.

L'entreprise assure que le "salaire décent" qu'elle verse représente 39.638 euros par an pour un salaire brut à Paris et 25.356 euros à Clermont-Ferrand, où se situe le siège du groupe. Le Smic s'élève à 21.203 euros bruts.

Cela représente grosso modo 2580 euros net mensuel avant impôts pour Paris et 1648 euros net pour Clermont-Ferrand.

Ce montant correspond-il à la perception qu'ont les Français d'un minimal vital ? Dans son baromètre annuel, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) interroge les Français sur leur perception de la pauvreté.

Une question permet d'appréhender cette notion de "salaire décent".

"Selon vous, pour vivre, quel est le montant dont doit disposer au minimum un individu par mois (en euros) ?"

1983 euros net par mois

Dans la publication du baromètre en juillet dernier d'après un questionnaire réalisé en décembre 2022, ce salaire serait de 1983 euros par mois. Un montant en forte croissance par rapport à la période 2018-2021, quand il se situait autour de 1750 euros, du fait de la forte poussée inflationniste de la période récente.

Alors que le Smic en France se situe aux alentours de 1400 euros net par mois depuis le 1er janvier, ce salaire de 1983 euros "pour vivre" est supérieur de 42% environ.

Mais il s'agit là d'une moyenne avec des disparités importantes selon les catégories socio-professionnelles et surtout les zones géographiques.

Pour l'agglomération parisienne, les répondants estiment que ce salaire se situe à 2373 euros net par mois. Un montant qui est donc inférieur au "salaire décent" pratiqué par Michelin dans la capitale qui est on le rappelle de 2580 euros.

En ce qui concerne les villes de plus de 100.000 habitants (ce qui est le cas de Clermont-Ferrand), le salaire "minimum vital" estimé par les Français est de 1994 euros net mensuel. On est cette fois bien au-dessus de que propose Michelin à ses salariés clermontois qui ne dépasse pas 1700 euros.

Preuve que ces notions sont très subjectives et ne relèvent pas de la science économique.

C'est ce qu'estime l'économiste Jean-Marc Daniel qui juge "Michelin à côté de la plaque" avec cette notion.

"Il y a des règles économiques pour déterminer le salaire, rappelait-il ce jeudi sur BFM Business. La productivité marginale du salarié, le rapport de l'offre et de la demande au sein de l'entreprise, c'est à dire ce qui ressort de la négociation entre le salarié et l'employeur. La perception qu'on a de ses besoins est objective mais aussi relative et subjective, on regarde ce dont les autres disposent et on dit "ce que les autres possèdent, j'ai le droit de l'avoir"."

D'autant que la distribution d'un "salaire décent" peut nuire à la compétivité et donc à l'emploi.

"Le salaire décent, je ne sais pas ce que ça veut dire, explique Christian de Boissieu, vice président du Cercle des économistes. On sait en économie que si on augmente trop le Smic ça détruit des emplois et ça se retourne contre les intéressés. Il doit y a voir une connexion entre les performances et le salaire à travers la notion de productivité."

L'équipementier français a d'ailleurs annoncé en octobre dernier, la fermeture de plusieurs de ses sites en Allemagne et Etats-Unis. Selon les syndicats allemands, ce sont 1500 postes pourraient être supprimés dans le pays d'ici 2025 en raison des "coûts de production croissants".

Michelin a d'ailleurs déjà supprimé des postes dans le cadre de son "plan de simplification et de compétitivité" annoncé début 2021.

Pour le patron de Michelin, il n'y aurait pas de lien avec la politique sociale du groupe.

"Croire en l’être humain n’empêche pas d’être réaliste, explique-t-il au Parisien. Chaque site industriel s’adapte en permanence, jusqu’à un certain point. Pour le dire autrement, chaque site industriel a une durée de vie."

En France ce sont 451 postes qui avaient prévu d'être supprimés par Michelin en 2023 .

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco