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"Ni mon nom ni ma couleur n'aident": discriminations à l'embauche, l'urgence d'agir

Poto d'illustration

Poto d'illustration - JF Monnier

Parmi les saisines reçues par le Défenseur des droits pour discrimination l'emploi est le premier domaine invoqué. "Le ressenti de discrimination est très fort en France, et parmi les plus élevés" au sein de l'Union européenne, selon l'OCDE.

Testings, CV anonymes, quotas... Les solutions diffèrent mais le constat est partagé sur "l'urgence d'agir" contre les discriminations à l'embauche, revenues dans le débat à l'occasion de la mobilisation mondiale antiraciste "Black Lives Matter".

"On m'a comparé à un terroriste durant l'entretien d'embauche (et) mis en doute la réalité de mon expérience professionnelle du fait de mes origines", s'indigne un homme de 34 ans.
"Il est clair que ni mon nom et prénom qui sonnent très étrangers, ni ma couleur de peau ne m'aident", confie une jeune femme de 25 ans qui a décroché deux entretiens d'embauche en sept mois.

Ces témoignages sont tirés du rapport du Défenseur des droits (DDD) Jacques Toubon, publié lundi et intitulé "Discriminations et origines: l'urgence d'agir". Il pointe la "dimension systémique" des discriminations en France et la menace que cela fait peser sur la "cohésion sociale". Parmi les saisines reçues en 2019 pour discrimination, "l'emploi est le premier domaine invoqué" (35,5% dans le privé, 24,4% dans le public).



D'après le Baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi, réalisé chaque année par le DDD et l'Organisation internationale du travail, l'âge et le sexe sont les deux premiers motifs de discrimination au travail (15%), avant l'origine (8%), le handicap ou l'état de santé (6%) et les convictions religieuses (2%).

Le 18 juin, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme soulignait dans son rapport annuel que, "dans la sphère du travail, l'origine - considérée au sens large en recoupant origine, nationalité, lieu de résidence, apparence physique, langue, patronyme - est l'une des principales sources de discriminations".

Des discriminations qui ne diminuent pas

Pour l'économiste Stéphane Carcillo de l'OCDE, coauteur du livre "Les discriminations au travail" (Presses de Sciences Po, 2018), "le ressenti de discrimination est très fort en France, et parmi les plus élevés" au sein de l'Union européenne. Ce que confirme un Eurobaromètre publié en octobre 2019: les perceptions des discriminations les plus fortes au sein de l'UE se concentrent autour de la couleur de peau (80% en France, 59% dans l'ensemble de l'UE), de l'appartenance à la communauté rom (77%/61%), de l'origine ethnique (74%/59%) et de l'orientation sexuelle (73%/53%).

En l'absence de statistiques ethniques - interdites en France mais sur lesquelles la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a suggéré de rouvrir le débat - les chercheurs de l'Institut national d'études démographiques, dans leur enquête référence "Trajectoires et origines" de 2008-2009 (la prochaine est attendue pour 2022), ont défini l'origine à partir du pays de naissance des parents et grands-parents.

"On n'a pas besoin d'ouvrir un débat sur les statistiques ethniques. On a déjà tout un tas d'outils sur la table", assure le préfet Frédéric Potier, à la tête de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

Or, selon le directeur de l'Observatoire des discriminations, le sociologue Jean-François Amadieu, la discrimination à l'embauche liée à une origine étrangère ne diminue pas en France avec 20 à 25% de chances en moins d'être recruté, comme en 2008. Un niveau "incompressible" qu'il juge préoccupant.

Réduire les discriminations permettrait d'accroître le PIB

La discrimination est aussi sociale et géographique. Selon la ministre du Travail Muriel Pénicaud, "à diplôme égal, les candidats issus des territoires les moins privilégiés sont 2,5 fois moins reçus en entretien que les autres". Et la crise de l'emploi post-Covid ne devrait rien arranger. "Les discriminations augmentent quand il y a plus de concurrence pour les emplois", anticipe Stéphane Carcillo.

Les avantages économiques d'une réduction des discriminations ont pourtant été mis en lumière par une étude de France Stratégie de 2017. D'après cet organisme de prospective, "réduire les discriminations conduirait à accroître le PIB de 0,35% par an durant 20 ans" grâce notamment à la hausse de la masse salariale.

Par conséquent, "lutter contre les discriminations est un combat de justice sociale mais aussi de développement économique", a insisté la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa mi-juin, lors du lancement par le gouvernement d'une nouvelle vague de testing des grandes entreprises.

La précédente, en février, avait mis en cause Renault, Air France, Accor, Altran, Arkéma, Rexel et Sopra Steria pour discrimination présumée à l'embauche. Les sept groupes avaient contesté sa méthodologie. Tous (sauf Renault) avaient publié un communiqué commun affirmant leur engagement "pour assurer une égalité de traitement dans le recrutement et lutter pour l'égalité des chances".

"On est dans le concret en testant le comportement des recruteurs", se félicite Frédéric Potier, très favorable à la publication des noms des mauvais élèves (le "name and shame" anglais) comme des bons. Ensuite, "il y a un énorme effort de formation à faire": avec l'Association française des managers de la diversité, la Dilcrah a financé des kits d'information à destination des cadres dirigeants.

Une base de données pour permettre les contrôles de l'inspection du Travail

Pour Saïd Hammouche, président fondateur du cabinet de recrutement Mozaïk RH, il faut "des mesures correctives pour que, mécaniquement, toutes les entreprises françaises puissent diversifier leur recrutement".

Côté syndicats, Frédéric Sève, chargé des questions de discrimination à la CFDT, regrette qu'on ait "largement dépassé le stade du constat, de la prise de conscience". "Maintenant il faut agir", insiste-t-il.

"Les guides de bonnes pratiques, les labels, d'accord, mais s'il n'y pas d'obligation, de contrôle et de sanction, on s'aperçoit que les discriminations perdurent", abonde Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT.

Chez les acteurs associatifs, la Fédération nationale des Maisons des potes voudrait que les testings "soient suivis d'enquêtes de l'inspection du travail et du procureur de la République au sein des entreprises épinglées". La discrimination à l'embauche est punie de trois ans de prison et 45.000 euros d'amende (225.000 euros pour une personne morale).

La CGT milite de son côté pour une base de données au sein de chaque entreprise compilant toutes les candidatures à un même poste, "qui puisse être contrôlée par l'inspection du travail", avance Céline Verzeletti.

Un autre outil serait l'instauration de quotas et d'une discrimination positive comme aux Etats-Unis. Mais cela risque de "dresser des catégories les unes contre les autres", s'inquiète Jean-François Amadieu, plus favorable à une anonymisation des CV car "si vous supprimez les nom, prénom, photo, adresse et sexe, vous supprimez des critères de discrimination".

C.C. avec AFP