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Mort de Jacques Delors: disparition d'un des pères de l'euro

Jacques Delors est mort ce mercredi 27 décembre à l'âge de 98 ans. Retour sur son parcours de grand architecte de l'Europe moderne.

L'ancien président de la Commission européenne, Jacques Delors, est mort mercredi à 98 ans, a annoncé à l'AFP sa fille Martine Aubry. Figure de la gauche française, il restera comme une figure de la construction européenne, l'un des pères de l'euro.

"C’était un Européen convaincu", a réagi l'ancien gouverneur de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, sur BFM Business.

"Jacques Delors a été un très très grand ministre français, un très très grand président de la commission européenne, il laisse un héritage considérable dans la construction européenne", a-t-il poursuivi.

À Bercy de 1981 à 1984

Ancien ministre de l'Economie sous François Mitterrand (1981-1984), Jacques Delors avait douché les espoirs de la gauche en refusant de se présenter à l'élection présidentielle de 1995 alors qu'il était le grand favori des sondages, un renoncement spectaculaire à la télévision devant 13 millions de téléspectateurs.

"Je n'ai pas de regrets", mais "je ne dis pas que j'ai eu raison", avait-il déclaré au Point en 2021. "J'avais un souci d'indépendance trop grand, et je me sentais différent de ceux qui m'entouraient. Ma façon de faire de la politique n'était pas la même". Une façon de faire la politique qu'il a notamment exprimée au niveau européen.

Un destin très européen

Depuis Bruxelles, où il restera à la tête de la Commission de 1985 à 1995, Jacques Delors fût en effet l'un des architectes des contours de l'Europe contemporaine: mise en place du marché unique, signature des accords de Schengen, Acte unique européen, lancement du programme Erasmus d'échanges étudiants, réforme de la politique agricole commune, mise en chantier de l'Union économique et monétaire qui aboutira à la création de l'euro...

En mars 2020, il avait encore appelé les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE à plus de solidarité au moment où ces derniers s'écharpaient sur la réponse commune à apporter à la pandémie de Covid-19.

Avec ses centres de réflexion, "Club témoin" ou "Notre Europe" (devenu ensuite "Institut Jacques-Delors" et installé à Paris, Bruxelles et Berlin), il a plaidé jusqu'au bout pour un renforcement du fédéralisme européen, réclamant davantage d'"audace" à l'heure du Brexit et des attaques de "populistes de tout acabit".

L'un de ces héritages se retrouve aujourd'hui dans les mains des millions d'habitants de l'Union européenne: la monnaie unique.

"Il a été au cœur de deux transformations extrêmement importantes: l’acte unique c’est-à-dire le parachèvement du marché unique européen, qui allait au-delà du marché commun des débuts et qui a été une très très grande avancée qu’on lui doit largement", a ensuite rappelé Jean-Claude Trichet, avant d'évoquer son rôle central dans la mise en place de la monnaie unique.

"Il a été au cœur de la construction de l’Euro, puisqu’il présidait le groupe des gouverneurs qui a commencé à élaborer ce à quoi devait ressembler la Banque centrale européenne", a poursuivi l'ancien patron de la BCE.

"Il y a eu ensuite des négociations intergouvernementales mais le rapport Delors a été extrêmement important. Après avoir contribué de manière décisive à ces avancées très importantes de l’Union européenne, il a continué puisqu’il a été pendant 10 ans président de la Commission européenne et il l’était dans des moments toujours compliqués et difficiles."

Relation particulière avec Mitterrand

Né à Paris le 20 juillet 1925 dans un milieu simple et catholique, Jacques Delors était passé du patronage de paroisse à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), à laquelle il reste lié toute sa vie.

Il entre à la Banque de France, puis adhère à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et participe à la déconfessionnalisation du syndicat, qui donne naissance à la CFDT.

Cet admirateur de Pierre Mendès France avait attendu 1974 et l'âge de 49 ans pour s'encarter au PS, dans l'espoir d'"être utile".

À la tête des Finances publiques sous Mitterrand, il fut l'un des initiateurs du tournant de la rigueur à partir de 1982, évitant à la France de plonger dans l'inflation.

Il parvient en effet à redresser les comptes de l'Etat et, grâce à un plan de rigueur inédit, évite à la France de plonger dans l'inflation. Delors impose également un style, éloigné du registre lyrique qui s'impose alors encore à gauche, assumant au contraire un austère "langage de vérité".

Pressenti pour devenir Premier ministre en 1984, il conditionne son entrée à Matignon au maintien de ses attributions de ministre de l'Economie. Un caprice, juge François Mitterrand, qui lui préfère finalement Laurent Fabius. "Il restera pour son rôle à la tête de la Commission européenne, mais en politique: zéro", avait lâché quelques années plus tard le président socialiste.

Jacques Delors s'est marié en 1948 avec une collègue partageant ses convictions syndicales et religieuses, Marie Lephaille, décédée en 2020. Ils auront deux enfants: Martine Aubry, qui naît en 1950, puis Jean-Paul, né en 1953 et emporté par une leucémie en 1982.

J.B. avec AFP