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Limiter la consommation, détourner des médicaments vétérinaires... Les hôpitaux se préparent à la pénurie

Des pilules de médicaments (photo d'illustration)

Des pilules de médicaments (photo d'illustration) - JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Consommation en forte hausse, production et importations touchées par les mesures de confinement... Les stocks de médicaments diminuent dangereusement dans les services hospitaliers. Les services de santé vont devoir consommer moins ou détourner des médicaments pour animaux.

Curares, hypnotiques, corticoïdes, antibiotiques... Voilà la liste des médicaments qui pourraient venir à manquer dans les services de soins intensifs en France. C'est en tout cas la crainte exprimé par Rémi Salomon, le président de la Commission médicale de l'AP-HP sur BFMTV:

"Nous avons quelques craintes à propos des médicaments utilisés pour les patients en réanimation. Ils sont consommés à un rythme inhabituel. Ces médicaments sont fabriqués par les mêmes firmes pharmaceutiques qui sont sollicitées par l'ensemble des pays du monde, donc le risque de tension augmente chaque jour." 

Des médicaments essentiels pour réaliser les anesthésies et mettre les patients en grande détresse respiratoire en coma artificiel. Or avec l'afflux de malades dans les services de réanimation, la consommation est montée en flèche ces dernières semaines. La France compte ainsi 5056 malades en état grave en soins intensifs (en hausse de 15% ce lundi 30 mars). A titre de comparaison, c'est plus que l'Italie qui bien que plus avancé dans l'épidémie ne compte "que" 3981 patients en état grave.

60 à 80% des principes actifs viennent d'Inde ou de Chine

Une forte demande dans un contexte où la production est elle aussi affectée. "Nous nous attendons à de gros soucis, avec un effet retard, peut être vers le mois de mai. La conjonction des problèmes chinois et indiens pour ce qui est des substances actives, ajoutés au problèmes de fabrication dans certaines régions d’Europe comme l’Italie du Nord peut créer des pénuries, estime Yves Mazens de France Assos Santé à France Bleu

Une situation que la France avait déjà connu en 2013 et l'Agence nationale de sécurité du médicament avait déjà pointé dans un rapport en 2016. L'Agence avait estimé entre 60 et 80% la dépendance des pays européens aux principes actifs produits par l'Inde et la Chine. Or par crainte de l'épidémie à venir dans le pays, l'Inde a fortement restreint ses exportations ces dernières semaines.

Une situation qui inquiète donc les soignants qui voient leur stocks dangereusement baisser. Selon une note du ministère de l'Intérieur révélée par Mediapart, "les hôpitaux civils n'ont qu'une semaine d'approvisionnement, tandis que les hôpitaux militaires n'ont plus que 2,5 jours de stock, contre quinze jours en temps normal." 

Une situation que Dominique Martin, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), juge préoccupante.

"Les médicaments qui sont utilisés dans ces situations d'urgence, que ce soit en médecine, en soins intensifs, ou en réanimation, sont sous très forte tension, assurait-il ce matin sur France Info. C'est vrai de la morphine, c'est vrai des antibiotiques, c'est vrai de certains médicaments sédatifs qui sont indispensables. Il y a une très forte tension sur laquelle on est extrêmement mobilisés."

L'appel à la médecine vétérinaire

D'ailleurs, l'ANSM confirme qu'elle a contacté l'Agence nationale du médicament vétérinaire pour assurer son approvisionnement au cas où.

"Cela concerne notamment des sédatifs qui peuvent être utilisés en réanimation. Ce sont des médicaments qui sont tout à fait équivalents. D'ailleurs, les vétérinaires utilisent parfois des médicaments humains, explique Dominique Martin. Et on a fait des analyses sur certains sédatifs qui sont utilisés en médecine vétérinaire qui sont produits exactement dans les mêmes conditions. Donc, on a fait des analyses et il y a la possibilité de mobiliser, pour lever un peu ces tensions temporairement, ces médicaments vétérinaires."

En attendant, les médecins sont obligés de s'adapter. Des médecins anesthésistes et réanimateurs de l'AP-HP ont ainsi élaboré un protocole afin de limiter la consommation de médicaments. Ce texte "explique en détail les bons principes d'économie" de ces "produits précieux", détaille Bruno Riou, le directeur médical de crise de l'AP-HP Riou. Des techniques qui permettent d'atteindre le même résultat en limitant la prise de médicaments. "On peut obtenir une réduction de 20% sur la consommation de ces produits (...) sans qu'il y ait de conséquences importantes pour les patients", assurait-il lors d'un point téléphonique ce week-end.

Concrètement, les médecins en réanimation associent les médicaments à d'autres molécules ou empruntent des techniques utilisées dans d'autres services. C'est ce qu'explique à Libération le professeur Damien Roux qui travaille au sein du service de réanimation médico-chirurgical de l’hôpital Louis-Mourier:

"Nous avons aussi souligné l’intérêt d’associer d’autres molécules permettant de réduire la quantité de molécules usuelles à administrer. Plus spécifiquement pour la sédation, une des préconisations serait aussi de se servir de la méthode habituelle de l’anesthésie en bloc opératoire. C’est une procédure qui utilise les gaz halogénés pour endormir les gens et que nous n’utilisons jamais dans la plupart des services de réanimation."

Une situation qui préoccupe au plus haut sommet de l'Etat. Et même si la réglementation nationale ne permet pas d'interdire ou de limiter l'exportation de molécules à risque, l'exécutif peut faire pression sur l'ANSM pour que la production française soit exclusivement orientée sur la consommation nationale. 

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco