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La semaine de 32 heures, c'est possible? Certaines entreprises y croient, d'autres l'ont abandonnée

Un open-space.

Un open-space. - Intervoice TM - Wikimedia Commons - CC

L'entreprise lyonnaise LDLC vient d'acter le passage aux 32 heures hebdomadaires pour ses salariés. D'autres entreprises ont fait marche arrière il y a quelques années.

Le débat sur la réforme des 35 heures, plus de vingt ans après sa mise en œuvre sous Lionel Jospin, n'est toujours pas terminé, et on s'écharpe toujours autant en France sur son efficacité. Autant dire que les (rares) appels à passer aux 32 heures hebdomadaires, venant surtout de la gauche et de certains syndicats, sont encore très peu entendus. C'est pourtant le pari qu'a fait LDLC, le spécialiste français de l'e-commerce sur le marché informatique: depuis une dizaine de jours, la quasi-totalité des salariés du groupe lyonnais ne sont attendus que 32 heures par semaine sur leur lieu de travail.

"Il faudrait plutôt parler du passage à la semaine de 4 jours, les 32 heures en sont une conséquence", explique le patron de l'entreprise lyonnaise, Laurent de la Clergerie. "Il ne nous reste que le soir ou le week-end pour rattraper tout ce que l'on n'a pas le temps de faire, dans notre vie personnelle, pendant la semaine. J'ai voulu donner une vraie bulle d'air à mes salariés, pour qu'ils aient plus de temps pour eux. Si on y réfléchit, dans une journée, il y a des heures creuses où l'on travaille assez peu: l'idée est que toutes ces heures creuses soient remplacées par un jour fermé supplémentaire ", poursuit-il.

Une entreprise pionnière dans le paysage économique français? Pas exactement. Elles ne sont pas nombreuses, mais quelques entreprises tricolores avaient déjà fait passer le nombre d'heures travaillées, hors heures supplémentaires, sous la barre des 35 heures. Avant la réforme portée par Martine Aubry, il y a eu les accords "Robien" de 1996, alors qu'Alain Juppé était à la tête du gouvernement: contre une réduction d'au moins 10% de la durée du travail, et en contrepartie d'embauches, les entreprises bénéficiaient d'un allègement des cotisations sociales patronales.

Accords de Robien

Dans les faits, pour les entreprises concernées par cette loi Robien, la durée du travail est descendue autour de 32 ou 33 heures (en comptant un temps de travail alors légalement fixé à 39 heures, une baisse de 10% amenait, au minimum, à 35 heures). Le hic, c'est qu'elles sont presque toutes revenues sur leur décision, tout du moins en partie. Dans les ateliers du producteur breton de jambon Monique Ranou, filiale d'Intermarché, un référendum interne en 2008 acte la possibilité, pour les salariés qui le souhaitent, d'abandonner ce temps de travail réduit en passant aux 35 heures hebdomadaires.

Dans le jambon toujours, on peut évoquer le cas de Fleury Michon. Un accord flexible a été négocié en 2017 par les syndicats pour laisser le choix aux salariés. Il y a, en quelque sorte, deux options: ceux qui choisissent de passer aux 35 heures sont un peu mieux payés mais cumulent moins de journées de récupération, et inversement pour ceux qui veulent rester aux 33 heures.

"On est parti du constat que la vie du salarié évolue, il a parfois besoin de plus de temps, et parfois de plus d'argent", explique le délégué CFDT Alain Ansel, qui précise qu'il est possible de revenir sur sa décision chaque année.

L'exemple le plus probant est celui de la Macif: lorsque la loi Aubry sur les 35 heures a été votée, le temps de travail hebdomadaire des employés de l'assureur, déjà aux 35 heures à ce moment-là, a été descendu à 31 heures 30. Mais, dans la guerre tarifaire à laquelle se livre le monde de l'assurance, cela a rapidement joué en sa défaveur: ses agences étaient ouvertes autant de temps que celles de ses concurrents, mais elles réclamaient davantage de main d'œuvre pour assurer l'amplitude horaire. Soit un coût financier supplémentaire pour l'assureur.

Pas d'impact positif sur l'emploi

La direction de la Macif est parvenue à négocier avec les syndicats un nouvel accord sur le temps de travail – dans les faits, il a été inclus dans une refonte générale de son modèle social, jusqu'alors très sédimenté – qui est entré en vigueur le 1er janvier 2019. Ses effectifs vont progressivement passer aux 35 heures, en échange d'une augmentation de salaire (un peu moindre que celle du temps de travail) et d'une meilleure retraite complémentaire. Plus de la moitié des 10.000 salariés, qui ont trois ans pour le faire, ont voulu passer aux 35 heures dès la première année.

Face à ces revirements, la semaine de 32 heures est-elle une utopie? Tout dépend de l'objectif. "Si on veut créer de l'emploi, c'est le mauvais outil: toutes les études menées en France et dans d'autres pays n'ont montré aucun impact positif sur l'emploi. La promesse de 'travailler moins pour travailler tous' ne se vérifie pas", assure Andrea Garnero, économiste au département de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE. La diminution du temps de travail, à salaires constants, se traduit par une hausse du coût du travail pour l'employeur, donc peu propice à l'embauche.

En revanche, c'est du côté de la productivité que l'on pourrait y gagner. Un salarié moins épuisé par une longue semaine et plus concentré sur ses tâches essentielles, une balance plus équilibrée entre vie personnelle et vie professionnelle, pourraient se traduire par une meilleure efficacité au travail. Un constat qu'a vérifié LDLC: pour 10% d'heures travaillées en moins, l'entreprise n'a augmenté ses effectifs que de 2 à 3%. La société prévoyait en effet près d'une trentaine d'embauches pour compenser le passage aux 32 heures, mais n'aura finalement besoin de recruter que 15 à 20 personnes.

Gains de productivité

"Il y a cent ans, on travaillait tous les jours, sans horaires journaliers, puis sont venus les congés payés, la retraite, les vacances. Grâce aux gains de productivité, qui ont permis aux pays de s'enrichir, on travaille moins d'heures. La redistribution des fruits du travail ne se fait pas que par les salaires, elles se fait aussi par le temps libre. De ce point de vue-là, oui, on peut discuter de la pertinence de la réduction du temps de travail", avance Andrea Garnero. Rappelant que cela n'est possible qu'en période de croissance économique.

Laurent de la Clergerie, lui, croit fermement à son projet, et évoque une "relance par le temps libre" : plus il y aura d'entreprises qui libéreront un troisième jour de congé, plus il y a aura de personnes qui consommeront ou devront s'occuper pendant la semaine, soit de potentielles créations d'emploi. "Ce n'est pas faisable dans toutes les entreprises", reconnaît toutefois le dirigeant de LDLC, citant l'exemple d'un producteur de tomates, dont la valeur repose sur la main d'œuvre et qui pourrait difficilement diminuer les heures travaillées. "Mais je suis convaincu que beaucoup pourraient le faire".

Jérémy Bruno