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L'Europe peine à s'extirper de sa dépendance aux engrais russes

Un agriculteur dans un champ en Eure-et-Loir en août 2020 (photo d'illustration).

Un agriculteur dans un champ en Eure-et-Loir en août 2020 (photo d'illustration). - JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

La guerre en Ukraine a chahuté les exportations d'engrais russes vers l'Union européenne, sans les arrêter complètement.

La guerre en Ukraine l'a rappelé: en matière d'engrais, l'Europe peut difficilement éviter la Russie. Que l'on parle d'azote ou de potasse, de matières premières ou de produits finis, le plus vaste pays du monde reste l'un des géants mondiaux des engrais.

Si les importations depuis la Russie se sont quasiment taries dès les premiers mois qui ont suivi le déclenchement de la guerre en Ukraine, "elles ont repris depuis la fin de l'année dernière", explique Nicolas Ferenczi, responsable des affaires internationales de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB).

L'Europe fabrique une partie de ses engrais, mais c'est loin d'être suffisant pour répondre à ses besoins. Au déclenchement du conflit, la Russie lui vendait une bonne partie des engrais azotés utilisés dans ses champs, mais aussi des volumes conséquents d'ammoniac, ingrédient de base de ces mêmes engrais – lui-même issu du gaz naturel, autre ressource dont la Russie regorge.

Sans oublier que Russes et Biélorusses, leur plus proche alliés, concentrent 40% des échanges mondiaux de potasse. Cette dernière est un autre pilier du triptyque azote-phosphore-potassium ("NPK"), les principaux éléments nécessaires à la croissance des plantes, en plus de l'oxygène – la majeure partie des engrais minéraux contiennent un ou plusieurs de ces éléments.

Algérie, Égypte, Qatar

D'autres pays producteurs ont pu, depuis le début de la guerre, s'attirer les faveurs des Européens, mais sans pouvoir complètement contrebalancer la Russie. Parmi eux, on trouve l'Algérie, l'Égypte ou le Qatar, et même le petit État caribéen de Trinité-et-Tobago, gros fournisseur de solution azotée. Par ailleurs, "les sanctions avaient institué un plafonnement des achats, et non une rupture nette, ce qui a laissé le temps de faire des stocks" d'engrais, notamment des ammonitrates, ajoute Quentin Mathieu, responsable économie à la Coopération agricole.

Dans les faits, la situation reste encore très floue. "Nous n'avons pas encore le recul suffisant pour avoir une vision suffisamment claire", note Quentin Mathieu. D'autant plus que le conflit ukrainien est venu déstabiliser un marché des engrais déjà chahuté par la crise sanitaire, avec une offre incapable de suivre la demande en raison de la forte reprise économique. Les prix des engrais avaient commencé à flamber dès le début de l'année 2021. Et si les cours ont commencé à redescendre, le marché est encore fragile.

Déjà avant la guerre, face à la très forte augmentation des prix du gaz naturel, les fabricants européens avaient été contraints de réduire drastiquement leur production d'engrais – le gaz naturel représente 80% du coût de production de l'ammoniac, l'ingrédient de base des engrais azotés. En septembre 2022, 70% de la production européenne était à l'arrêt. La fabrication a depuis redémarré, mais certaines usines ne tournent pas encore à plein régime et l'Europe est encore loin de son maximum de production: entre 20 et 30% des capacités européennes sont toujours à l'arrêt.

La demande, elle, est aussi plus modeste qu'à l'accoutumée. Avec la flambée des prix, certains agriculteurs ont planté davantage de cultures moins gourmandes en engrais, comme le colza ou le tournesol (d'autant plus motivés par la hausse des prix des huiles végétales). Surtout, beaucoup ont préféré réduire les quantités d'engrais dans leurs champs. Selon des chiffres de l'Union des industries de la fertilisation (Unifa), les livraisons d'engrais minéraux en France ont chuté de 24% pour la campagne 2022-2023 par rapport à la campagne précédente.

Hydrolyse de l'eau

"Pour la campagne 2021-2022, les répercussions ont été finalement limitées, car les épandages étaient quasiment terminés" lorsque la guerre en Ukraine a démarré, explique Quentin Mathieu.

"C'est en 2023 que l'on pourra observer les vraies conséquences", ajoute cet expert.

La période de fertilisation des champs commencera dans quelques semaines et se poursuivra jusqu’au mois d'avril. Or, moins d'engrais dans les champs, cela se traduirait par des rendements plus faibles, et donc une baisse du volume de production, si les conditions climatiques ne sont pas favorables.

À court terme, la Russie et ses engrais restent donc incontournables. "L'Europe est incapable, aujourd'hui, d'être autosuffisante", assure Nicolas Ferenczi. Pour le phosphore ou la potasse, c'est définitivement impossible, faute de ressources sur le sol européen. C'est à plus long terme que l'on pourrait y remédier sur les engrais azotés.

Certains fabricants européens, comme le géant norvégien Yara, misent sur la production d'azote à partir de l'hydrolyse de l'eau, et non plus du gaz. Le coût de production est beaucoup plus élevé, mais la flambée des prix du gaz rend cette technologie de plus en plus intéressante. Tout cela reste néanmoins encore au stade expérimental et, surtout, cela requiert beaucoup d'électricité, autre problématique européenne actuelle.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV