BFM Business
Economie

Jeff Bezos, de la petite librairie à la conquête spatiale

Jeff Bezos (à gauche en 1997, à droite en 2015 devant une fusée Blue Origin)

Jeff Bezos (à gauche en 1997, à droite en 2015 devant une fusée Blue Origin) - Getty/AFP

A 57 ans, l'homme le plus riche de la planète s'apprête à survoler la Terre durant quelques minutes. Un projet pour lequel il a dépensé des milliards de dollars grâce à l'argent accumulé dans le e-commerce. Retour sur un parcours hors-norme.

"Fluid Concepts and Creative Analogies" de Douglas Hofstadter. C'est avec ce livre que symboliquement tout a démarré pour Jeff Bezos. Ce livre de science qui tente de comprendre l'intelligence humaine via des modélisations informatiques est en effet le tout premier livre vendu par Amazon le 3 avril 1995. Les premiers dollars engrangés par une start-up inconnue de Seattle à l'époque et qui pèse aujourd'hui 1800 milliards de dollars en Bourse dont plus de 200 milliards sont détenus par son fondateur.

A 57 ans, Jeff Bezos s'apprête à quitter mardi les confins de la planète bleue pendant onze minutes à bord du vaisseau New Shepard de sa société fondée en 2000, Blue Origin. Ce voyage express à plus de 100 km du sol doit avoir lieu deux semaines seulement après son départ de la direction générale d'Amazon au profit d'Andy Jassy, une entreprise passée en 27 ans de startup faite de bric et de broc dans son garage à un groupe tentaculaire.

La toute première commande réalisée sur Amazon.com.
La toute première commande réalisée sur Amazon.com. © Courtesy MarketWatch

Passionné de sciences, d'astronomie et de la série Star Trek, Jeff Bezos grandit en Floride et fait des études à la prestigieuse université de Princeton d'où il sort diplômé en 1986 avec un Bachelor en science de l'informatique. Issu de la classe moyenne, il débute dans la finance à Wall Street où il a la révélation.

"J’ai appris que l’utilisation du web augmentait de 2300% par an, racontait-il dans un discours à Princeton en 2010. Je n’avais jamais vu ou entendu parler de quelque chose avec une croissance aussi rapide, et l’idée de créer une librairie en ligne avec des millions de titres — quelque chose de purement inconcevable dans le monde physique  — m’enthousiasmait vraiment."

Il part alors fonder Amazon dans l'Etat de Washington (les taxes y sont moins élevées) grâce notamment à l'aide de ses parents qui lui font un chèque de plus de 245.000 dollars. La suite est connue. Amazon connaît un succès fulgurant aux Etats-Unis, s'internationalise rapidement et est introduite en Bourse en 1997.

1 milliard de dollars par an pour Blue Origin

Déjà milliardaire et convaincu du succès d'Amazon, il fonde en secret une start-up d'exploration spatiale qui annonce d'emblée la couleur. Baptisé Blue Origin, elle porte dans son nom l'ambition de projet de Bezos: quitter à terme la Terre pour coloniser l'espace ("l'origine bleue"). Au début dotée de faibles moyens, sa start-up devient de plus en plus gourmande en capitaux à mesure que les projets prennent de l'ampleur et se concrétisent. Depuis plusieurs années maintenant, le fondateur d'Amazon vend pour 1 milliard de dollars d'actions pour la financer.

La tête dans les étoiles mais les pieds sur Terre, Jeff Bezos, également propriétaire du quotidien Washington Post, qui a quitté la présidence de son groupe en juillet va rester impliqué dans Amazon au sein duquel il détient environ 10% des parts en étant président exécutif du conseil d'administration.

Avec une fortune estimée à 210 milliards de dollars par Forbes, Jeff Bezos s'est maintenu depuis des années dans le cénacle des plus fortunés malgré son coûteux divorce en 2019 avec MacKenzie Scott, épousée 25 ans plus tôt et avec laquelle il a eu quatre enfants.

Plutôt discret de nature, cette affaire l'avait projeté dans la rubrique people, dans un scandale retentissant à base de complot, de chantage, de maîtresse et de photos coquines. Le tout sur fond d'inimitié avérée avec l'ancien président américain Donald Trump.

Rouleau compresseur sans états d'âme

Menacé, selon lui, de chantage à la photo dénudée par le National Enquirer, un tabloïd d'un proche du président Trump, il n'avait pas hésité à contre-attaquer en révélant publiquement l'affaire, quitte à étaler sa vie privée en place publique et à jeter en pâture les détails croustillants des photos que l'hebdomadaire menaçait de publier.

Connu pour ses éclats de rire tonitruants, donnant souvent l'image d'un homme simple malgré sa fortune, Jeff Bezos révélait alors au grand jour ce qui lui a permis de faire d'Amazon l'une des plus grandes entreprises du monde: un caractère bien trempé.

Jeff Bezos "a été un pionnier qui a mis en place de nombreux services que les gens considèrent aujourd'hui comme normaux, du magasin en ligne à la commande d'un produit puis à sa livraison le lendemain", commente Darrell West, chercheur au Brookings Institution's Center for Technology Innovationà l'AFP.

Le milliardaire aime à rappeler ses origines modestes: né d'une mère adolescente à Albuquerque au Nouveau-Mexique, et adopté à quatre ans par son beau-père Miguel Bezos, un immigrant cubain.

"Bezos a eu l'instinct" de parier sur les évolutions du marché, affirme Roger Kay, analyste pour Endpoint Technologies Associates. Côté face, la méthode de l'entrepreneur a été parfois décriée, à coup de bouleversement tous azimuts des secteurs en baissant les prix, au point d'être surnommé le "perturbateur-en-chef".

Amazon est aussi souvent considéré comme un rouleau compresseur sans états d'âme pour la concurrence et pour les conditions de travail de ses propres salariés, ayant par exemple bataillé pour empêcher la création d'un syndicat dans l'Alabama en avril.

Le groupe fait par ailleurs l'objet d'une enquête des autorités américaines de la concurrence car il commercialise ses propres produits sur sa plateforme tout en fixant les règles aux entreprises qui y vendent les leurs.

Plus personnellement, Jeff Bezos a récemment été accusé par l'organisation indépendante ProPublica, tout comme les milliardaires Elon Musk, Carl Icahn et George Soros, de n'avoir payé aucun impôt fédéral durant plusieurs années, grâce à des systèmes d'optimisation fiscale. De quoi immédiatement relancer le débat sur la taxation des plus fortunés, grands gagnants de la pandémie et accusés de vivre dans une autre galaxie financière.

Critiqué pour organiser des balades dans l'espace pour milliardaires plutôt que de régler les problèmes sur Terre, Jeff Bezos se défend.

Eh bien, je dis qu'ils ont en grande partie raison, a-t-il déclaré sur CNN ce lundi. Nous devons faire les deux. Vous savez, nous avons beaucoup de problèmes ici et maintenant sur Terre et nous devons y travailler. Mais nous devons toujours regarder vers l'avenir. Nous l'avons toujours fait en tant qu'espèce, en tant que civilisation. Nous devons faire les deux."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco