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TOUT COMPRENDRE - Qu'est-ce que l'accord sur les céréales signé entre l'Ukraine et la Russie?

L'Ukraine et la Russie ont signé ce vendredi à Istanbul deux accords séparés avec la Turquie et les Nations unies sur l'exportation des céréales et produits agricoles. En quoi consiste-t-il, et peut-il être mené à bien?

C'est un accord inédit depuis le début de l'agression russe. Kiev et Moscou ont signé deux textes identiques mais séparés - à la demande de l'Ukraine qui refusait de parapher tout document avec la Russie - censés permettre la reprise des exportations russes et ukrainiennes des céréales et produits agricoles par le biais de la mer Noire, malgré la guerre qui oppose les deux pays depuis maintenant cinq mois.

Mais moins de 24 heures après sa signature, l'accord semble avoir déjà du plomb dans l'aile après une nouvelle attaque russe sur le port stratégique d'Odessa.

• Que contient l'accord?

Des couloirs sécurisés en mer noire

Pour permettre ces acheminements de marchandises, des couloirs sécurisés vont être mis en place et permettront la circulation des navires marchands en mer Noire. "Les deux parties se sont engagées à ne pas attaquer" ces points de passage, a précisé un responsable des Nations unies ayant requis l'anonymat.

Les négociateurs ont renoncé à nettoyer la mer Noire des mines - principalement posées par les Ukrainiens pour protéger leurs côtes. "Déminer aurait pris trop de temps", a justifié l'ON, qui a précisé que des "pilotes ukrainiens" ouvriraient la voie aux cargos dans les eaux territoriales. Par ailleurs, l'Ukraine a suggéré que ces exportations commencent à partir de trois ports - Odessa, Pivdenny et Tchornomorsk - et espère pouvoir accroître leur nombre à l'avenir.

Des inspections de navires

Des inspections des navires au départ et en direction des ports ukrainiens auront lieu, dans l'un des ports d'Istanbul, afin de répondre aux inquiétudes de Moscou, qui veut avoir la garantie que les cargos n'apporteront pas d'armes à l'Ukraine. Elles seront organisées par un centre de coordination conjoint (CCC) qui devrait être formé dès ce weekend à Istanbul avec des représentants de toutes les parties et des Nations unies.

Un accord de 4 mois

Enfin, l'accord sera valable pendant "120 jours", soit quatre mois, ce qui devrait laisser le temps de sortir les quelque 25 millions de tonnes entassées dans les silos d'Ukraine alors qu'une nouvelle récolte approche.

• Quelles ont été les réactions?

Un accord salué...

A l'issue de la signature des deux accords, le patron de l'ONU, Antonio Guterres a remercié la Russie et l'Ukraine qui ont "surmonté leurs divergences pour faire place à une initiative au service de tous". Maintenant, l'accord "doit être pleinement mis en œuvre", a-t-il plaidé.

Recep Tayyip Erdogan a de son côté espéré que cet accord allait "renforcer l'espoir de mettre fin à cette guerre" que se livrent depuis près de cinq mois, dans l'une des régions les plus fertiles d'Europe, deux des plus grands producteurs de céréales du monde.

... Mais dont l'application effective interroge

La cheffe de la diplomatie britannique et candidate à la succession du Premier ministre Boris Johnson, Liz Truss, a été plus directe. "Pour permettre un retour durable à la sécurité dans le monde et à la stabilité économique, (Vladimir) Poutine doit mettre fin à la guerre et se retirer d'Ukraine", a-t-elle déclaré.

Les États-Unis, qui soutiennent l'Ukraine contre l'agression russe, ont fait peser sur Moscou la responsabilité du succès de l'opération. "Il revient maintenant à la Russie de concrètement mettre en oeuvre cet accord", a souligné la numéro 3 de la diplomatie américaine, Victoria Nuland.

Les conditions sont réunies pour son application "dans les prochains jours", a assuré peu après le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou.

L'Ukraine satisfaite mais méfiante

L'Ukraine s'est montrée de son côté circonspecte. "L'Ukraine ne fait pas confiance à la Russie. Je ne pense pas que quiconque ait des raisons de faire confiance à la Russie", a souligné le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kouleba. C'est désormais "la responsabilité de l'ONU" de garantir le respect de l'accord, a dans la soirée déclaré le président Volodymyr Zelensky, disant s'attendre à "des provocations, à des tentatives de discréditer les efforts ukrainiens et internationaux".

"L'accord correspond entièrement aux intérêts de l'Ukraine", s'est-il cependant félicité, ajoutant que les militaires ukrainiens continueraient de contrôler "à 100% tous les accès aux ports", dont la Russie exigeait initialement le déminage.

• Que faut-il en attendre?

20 à 25 millions de tonnes de grain débloquées

S'il est convenablement appliqué, l'accord devrait permettre d'exporter entre 20 et 25 millions de tonnes de grain bloquées en Ukraine. L'invasion de l'Ukraine par la Russie - deux pays qui assurent notamment 30% des exportations mondiales de blé - a conduit à une flambée des cours des céréales et des huiles ainsi qu'à des pénuries sur les marchés mondiaux.

Ces exportations de blé, maïs et tournesol nourrissent quelques 400 millions de personnes dans le monde. Parmi les pays les plus dépendants des céréales d'Ukraine ou de Russie, la Somalie, le Pakistan qui importent plus de 80% de blé depuis l'Ukraine. Le Liban importe plus de 60% de son blé. En Afrique, la Tunisie, l'Algérie et la Libye sont à plus de 40% de blé en provenance d'Ukraine.

La continent africain plus durement impacté

Mais ces blocages ont frappé plus durement encore le continent africain très dépendant de ces pays pour son approvisionnement. Selon des données de l'UNCTAD portant sur la période 2018-2020, 25 pays africains importent plus du tiers de leur blé de Russie et d'Ukraine. Ils sont 15 à en importer plus de la moitié.

Cette hausse des cours est venue aggraver la situation de pays déjà confrontés à une crise alimentaire, notamment dans la Corne de l'Afrique (Kenya, Ethiopie, Somalie, Djibouti) qui connaît sa pire sécheresse depuis 40 ans.

L'Union africaine (UA) s'est donc "félicitée" samedi de l'accord signé entre la Russie et l'Ukraine pour débloquer les exportations de céréales, un "développement bienvenu" pour le continent qui fait face à un risque accru de famine.

• Un accord voué à l'échec?

Reprise des bombardements à Odessa

Moins de 24 heures après la signature de ces accords, le territoire ukrainien a été frappé par l'armée russe. Si une dizaine de missiles ont été envoyés au centre de l'Ukraine, ce sont les frappes russes qui ont visé le port d'Odessa qui ont vivement fait réagir ce samedi. Pour rappel, il s'agit d'un point stratégique pour la reprise des exportations de céréales ukrainiennes prévues par l'accord.

L'Ukraine réagit

En tirant des missiles de croisière sur le port d'Odessa, le président russe a "craché au visage du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres et du président turc Recep (Tayyip) Erdogan, qui ont déployé d'énormes efforts pour parvenir à cet accord", a ainsi estimé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Oleg Nikolenko. L'Ukraine a aussitôt prévenu que la Russie assumerait "l'entière responsabilité" en cas d'échec de l'accord sur les exportations de céréales.

Un peu plus tard ce samedi, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a déclaré "condamner sans équivoque les frappes signalées aujourd'hui dans le port ukrainien d'Odessa". Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, a également fustigé le comportement de Moscou.

"Frapper une cible cruciale pour l'exportation de céréales un jour après la signature des accords d'Istanbul est particulièrement répréhensible et démontre une fois de plus le mépris total de la Russie pour le droit international et les engagements", a-t-il écrit sur Twitter.

Nina Le Clerre avec AFP