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Les plans budgétaires du gouvernement allemand menacés par la Cour constitutionnelle

L'opposition a saisi la Cour constitutionnelle allemande, estimant que le gouvernement a enfreint la règle du "frein à l'endettement".

Le jugement de tous les dangers pour le gouvernement d'Olaf Scholz. La plus haute juridiction allemande décide mercredi s'il a enfreint les strictes règles budgétaires du pays, au risque de menacer les projets d'investissement d'avenir de la première économie européenne. En cause: une décision d'affecter 60 milliards d'euros, destinés initialement à la lutte contre la pandémie de Covid, à une enveloppe pour la transition climatique et l'industrie.

La Cour constitutionnelle allemande a été saisie par le principal parti d'opposition, les chrétiens-démocrates (CDU, conservateurs), selon qui le gouvernement a agi en violation d'une règle dite du "frein à l'endettement".

Cette règle, inscrite dans la Loi fondamentale nationale depuis 2009, limite les nouveaux emprunts de l'Etat à 0,35 % du PIB chaque année. Si les juges sanctionnent le gouvernement, cela compliquerait sérieusement les plans de la coalition du chancelier social-démocrate Olaf Scholz pour concilier à la fois respect du sérieux budgétaire et investissements verts, essentiels pour la transition énergétique du pays, sorti du nucléaire et qui doit dans quelles années renoncer au charbon.

Objectifs climatiques

Suspendue entre 2020 et 2022 en raison de la pandémie de Covid, le frein est de nouveau en vigueur depuis cette année. Mais l'Allemagne a des besoins massifs d'investissements, notamment pour atteindre ses objectifs climatiques. La coalition s'est engagée à atteindre 80% d'électricité renouvelable d'ici 2030.

Pour concilier ces deux impératifs, Berlin a réalisé un véritable tour de passe-passe budgétaire. Après s'être rendu compte, fin 2021, que 60 milliards d'euros de dettes permises par cette suspension de la limitation des déficits n'avaient pas été utilisées, le gouvernement a décidé de les intégrer à un fonds spécial pour "le climat et la transformation", non comptabilisé dans le budget. Une manœuvre illégale selon l'opposition. Elle argue que l'exception au frein à l'endettement ne s'appliquait pourtant qu'aux "situations d'urgence".

"L'objet du fonds n'est pas une situation d'urgence (...) mais un défi de long terme, la lutte contre le changement climatique", explique à l'AFP Hanno Kube, professeur de droit public à l'université de Heidelberg, qui conseille les requérants. L'expert critique aussi la date d'utilisation: prévu pour 2021, les fonds ont été intégrés à l'enveloppe début 2022, via un budget rectificatif.

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Devant la Cour basée à Karlsruhe (ouest), le gouvernement a assuré que le fonds pour le "climat et la transformation" contribuait à faire face aux conséquences économiques durables de la pandémie de coronavirus. Un argument balayé par ses adversaires : "la transition écologique n'est plus du tout liée au coronavirus", selon Hanno Kube.

Prix de l'électricité

Le fonds, actuellement évalué à 212 milliards d'euros, vise officiellement à accélérer la transition de l'Allemagne vers une économie sans émissions, en finançant des mesures telles que le remplacement des chaudières à gaz par des pompes à chaleur plus respectueuses du climat. Mais son utilisation a été élargie au fur et à mesure des besoins ces derniers mois. Des aides de plusieurs milliards d'euros pour financer l'installations d'usines de puces électroniques et de semi-conducteurs dans le pays ont ainsi été débloquées.

Et le gouvernement compte sur ce fonds pour financer une partie du plan à 30 milliards d'euros visant à abaisser le prix de l'électricité de son industrie. Si la sanction des juges tombe, elle pourrait avoir un impact sur l'utilisation d'autres fonds spéciaux, que Berlin a multipliés ces dernières années pour contourner les règles budgétaires. Le principal est le fonds spécial pour la défense, créé après l'invasion de l'Ukraine en 2002 afin de rénover l'armée allemande, doté de 100 milliards d'euros.

Quelle que soit sa décision, le verdict de la Cour, qui intervient après près de cinq mois de délibérations, alimentera aussi un peu plus les débats récurrents sur la question de savoir si le frein à l'endettement doit être assoupli, voire être abrogé. Le ministre de l'Economie Robert Habeck a appelé fin octobre à "repenser" ces règles "fixées en des temps de mondialisation heureuse et de gaz russe bon marché". Une réforme refusée par les libéraux du FDP, qui occupent le ministère des Finances.

J. Br. avec AFP