BFM Business
International

Les oligarques ou comment une petite caste s'est emparée de la Russie

Le président russe Vladimir Poutine le 1er décembre 2021 à Moscou

Le président russe Vladimir Poutine le 1er décembre 2021 à Moscou - Grigory SYSOYEV © 2019 AFP

La dislocation de l'URSS fait émerger dans les années 1990 les premières grandes fortunes russes. Avec l'arrivée de Vladimir Poutine, les milliardaires se multiplient, mélangeant économie, pouvoir et nombreuses zones d'ombres.

Ils s'étaient eux-même surnommés "Semibankirchtchina", Les "sept banquiers" en français. Dans les années 1990, sept hommes contrôlaient l'économie de la jeune Fédération de Russie, émanation de l'URSS disparue. Malins et opportunistes, ils ont tiré profit des premières privatisations pour finalement représenter la moitié des richesses nationales avant le début de l'an 2000.

Ces "banquiers", ce sont les premiers oligarques russes, un terme apparu pour les différencier des apparatchiks soviétiques. Leur force économique leur donne d'importants pouvoirs politiques. Ils soutiendront financièrement Boris Eltsine et profiteront de la forte corruption qui sévit.

Pétrole, médias, banques… ils accaparèrent les richesses dans des conditions souvent opaques, parfois avec des liens ténus avec le crime organisé.

Sur les sept, seuls deux ont échappé à la transition d'Eltsine à Poutine. Le premier d'entre eux est Vladimir Potanine, toujours première richesse du pays (30,2 milliards de dollars selon Bloomberg) avec son groupe financier Interros.

Vladimir Potanine en 2014
Vladimir Potanine en 2014 © OLGA MALTSEVA / AFP

Avec Potanine, seul un autre des "banquiers" est toujours en course: Mikhail Fridman, poursuivi en Espagne pour corruption en 2019, affiche toujours une fortune de 13 milliards de dollars, bien qu'il ne soit pas dans le premier cercle du pouvoir actuel.

Pour les autres, la disgrâce sera redoutable. Le cas le plus emblématique est Mikhaïl Khodorkovski, ex-patron de Ioukos, le plus puissant groupe pétrolier de Russie dans les années 1990. Avant d'avoir 40 ans, le natif de Moscou était le plus fortuné du pays. Son pouvoir, grandissant, a été mis à mal en 2003 lorsqu'il fût arrêté notamment pour fraude fiscale et condamné à la prison. L'ombre de Poutine, bien décidé de mettre un terme à la puissance des premiers oligarques, plane derrière cette chute. Ioukos sera démantelé et Khodorkovski contraint à l'exil.

Le portrait de Mikhaïl Khodorkovski, en octobre 2003, au siège moscovite de la compagnie Youkos..
Le portrait de Mikhaïl Khodorkovski, en octobre 2003, au siège moscovite de la compagnie Youkos.. © -

Même sort pour un autre des "banquiers" d'Elstine, Boris Berezovsko, qui s'oppose à Vladimir Poutine sur la guerre en Tchétchénie. Lui aussi accusé de fraude et de détournements de fonds, il s'exile à Londres en 2001. Anti-Poutine mais aussi recherché par plusieurs polices du monde entier pour blanchiment d'argent, il est finalement retrouvé mort en 2013 au Royaume-Uni. La thèse du suicide est retenue.

Un autre oligarque historique a chuté: Vladimir Goussinski, magnat des médias, arrêté en 2003 pour fraude. Dans le viseur de Poutine, il s'enfuira en Espagne. Le cinquième "banquier", Alexandre Smolenski choisira de quitter les affaires lors de la répression poutinienne. Quant à Vladimir Vinogradov, septième "banquier", la crise financière de 1998 aura entraîné sa chute. Il mourra d'un AVC en 2008.

L'avènement de Vladimir Poutine va ensuite faire émerger de nouveaux oligarques, bien plus nombreux. Selon le Boston Consulting Group (BCG), les 500 plus grosses fortunes russes contrôlent 40% de la richesse nationale. 23 d'entre eux font partie du prestigieux classement Bloomberg des plus grandes fortunes du monde.

Certains noms comme Roman Abramovitch - propriétaire du club de football anglais de Chelsea - ou Dmitry Mazepine - père du controversé pilote de F1 Nikita Mazepin - sont désormais connus des Européens.

On les retrouve surtout dans l'industrie ou les hydrocarbures comme Alicher Ousmanov (78ème fortune mondiale), Vladimir Lissine (55ème fortune mondiale) ou Gennady Timchenko (105ème fortune mondiale).

Roman Abramovitch
Roman Abramovitch © AFP

Beaucoup font partie des premiers cercles de Vladimir Poutine. C'est le cas de Leonid Mikhelson, 51ème fortune mondiale, patron de la société gazière Novatek et du groupe pétrolier Sibur qui a embauché François Fillon comme administrateur. Ou encore Oleg Deripaska, humilié par l'homme fort du Kremlin devant les caméras en 2009 mais parvenu à rester dans les petits papiers de Poutine.

Mélangeant pouvoir, argent et zones d'ombre dans leurs montages financiers, de nombreux oligarques ont été poursuivis par les justices européennes.

Et ce sont principalement ces proches du pouvoir qui sont visés par les sanctions économiques. En 2018, les Etats-Unis s'en prennent à Viktor Vekselberg, magnat de l'aluminium et Suleyman Kerimov, sulfureux propriétaire minier.

Ce mardi, Boris Johnson a nommément visé Guennadi Timtchenko (pétrole), déjà sanctionné par les Etats-Unis, Boris Rotenberg (banque), dont le frère Arkadi est déjà sanctionné, et son neveu Igor Rotenberg. En visant les oligarques, les occidentaux espèrent ainsi affaiblir la puissance financière du pays et Vladimir Poutine par ricochet.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business