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Le créateur d'Alibaba rejoint le "club des milliardaires malheureux"

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Lors d'une conférence en Russie, Jack Ma a expliqué que la création Alibaba était la "plus grande erreur de sa vie" et que sa vie de milliardaire lui causait trop de soucis. Et ce quinquagénaire chinois n'est pas la seule grande fortune à juger son sort pas vraiment enviable.

"Ma plus grande erreur a été de créer Alibaba". Voilà comment Jack Ma juge son bilan d'entrepreneur. Il s'est exprimé ainsi lors du Forum économique russe qui s'est tenu cette semaine à Saint-Pétersbourg, rapportent Les Echos. Car le créateur du deuxième plus grand site de e-commerce de la planète a beau être à la tête d'une fortune estimée à 23,7 milliards de dollars, il assure ne pas être heureux.

"Je ne pensais pas que cette chose allait changer ma vie, explique-t-il. Je voulais simplement gérer une petite entreprise. Mais elle a tellement grossi qu'elle m'a apporté de trop grandes responsabilités et de nombreux soucis.

L'entrepreneur de 51 ans qui songe à la retraite reconnaît même qu'il ne recréerait jamais une telle entreprise "s'il y avait une vie après la mort". 

"Je voudrais être moi-même et profiter de ma vie, être en mesure de voyager n'importe où dans le monde et ne pas y parler d'affaires. Ni travailler."

Un propos qui tranche avec le discours dominant dans une Chine prompte à vanter la réussite et l'enrichissement. Jack Ma n'est pourtant pas le seul ultra-riche à faire rimer milliards et cafard. Il y a quelques mois le Suédois Markus Persson plus connu sous le pseudo "Notch" avait surpris en s'épanchant sur Twitter. Le créateur du jeu Minecraft y décrivait sa vie d'ennui dans son manoir à 70 millions de dollars. 

Un sentiment de décalage avec le reste de la population

"Le problème lorsque vous avez tout c'est que vous n'avez plus de raisons d'essayer de faire des choses et que toute interaction humaine devient impossible du fait du déséquilibre", expliquait le concepteur de jeu dont la fortune est estimée à 1,75 milliard de dollars.

Des atermoiements qui avait suscité évidemment quelques moqueries sur Twitter mais aussi beaucoup de messages compatissants. Quelques-uns conseillant au passage à "Notch" de se lancer dans le caritatif comme Bill Gates ou dans un nouveau projet industriel comme Elon Musk qui après avoir fait fortune avec Paypal a lancé sa marque automobile Tesla.

Ce sentiment de décalage avec le reste de la population est partagé par nombre de grandes fortunes. Comme Tim MacCarthy, un Américain de Dallas qui s'est enrichi dans la publicité. Lorsqu'il a décidé de revendre son entreprise pour 45 millions de dollars, il en a distribué 8 millions à ses employés, raconte le journal canadien Globe and Mail. Et ça s'est très mal passé. L'homme d'affaires a eu beau les inviter sur un yacht, leur offrir des places pour des comédies musicales à Broadway ou des bons d'achats chez le bijoutier Tiffany's, ses ex-salariés n'étaient pas heureux pour autant. "Ils étaient tout le temps de mauvaise humeur, ils se disputaient, ça m'a énormément déçu."

La déprime de ceux qui ne savent que faire de leur argent

Et si les grandes fortunes ont du mal à l'avouer en public pour des raisons évidentes, leur bonheur n'est pas corrélé au niveau de leur compte en banque. Beaucoup font même des dépressions. C'est ce qu'a vécu Daniel Ek, le patron de Spotify avant de fonder le site de streaming musical. Le Suédois qui, à 23 ans, avait déjà fait fortune dans la pub en ligne passa un hiver de déprime dans un cabane perdu en forêt. 

C'est le symptome du "gars en pyjama" décrit par Bill Simmons dans son livre Richistan. L'écrivain a enquêté auprès de gens si riches qu'ils peuvent se permettre d'aller dans des restaurants "3 étoiles" en pyjama. "Un jour vous réalisez que vous ne pourrez jamais dépenser votre fortune ou même une part d'elle seulement et ce dans toute votre vie, écrit-il. Votre richesse continuera à grossir sans fin malgré vos dépenses somptueuses."

Le seuil de bonheur c'est 66.000 euros par an

Si le commun des mortels rêverait d'avoir ce genre d'état d'âme, le symptôme de l'argent qui ne rend plus heureux est un phénomène bien connu en psychologie. Une étude réalisée en 2011 par l'Université de Boston auprès de 120 personnes détenant une fortune supérieure à 25 millions de dollars décrit une population insatisfaite et anxieuse. "Avoir 200 millions de dollars ne vous rendra pas 10 fois plus heureux que d'avoir 20 millions, au contraire", notent les auteurs de l'étude.

Selon le nouveau prix Nobel d'économie Angus Deaton, il y aurait même un seuil au-delà duquel l'argent ne procurerait plus de bonheur. Il se situerait à 75.000 dollars par an (66.000 euros). "Peut-être que 75.000 dollars est un seuil au-delà duquel des hausses de revenus n'améliorent plus la capacité des individus à faire ce qui compte le plus pour leur bien-être émotionnel, comme de passer du temps avec ceux qui leur sont chers, éviter la douleur et la maladie, et profiter de leurs loisirs", expliquait-il en 2002 en se fondant sur un l'indice de bien-être de l'institut de sondage Gallup. Jack Ma a commencé à travailler à 20 ans comme prof d'anglais. Il gagnait alors 20 dollars par mois.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco