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« La prochaine récession ne viendra pas de la finance »

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Alors que les niveaux des indices financiers américains ont battu de nouveaux records, certains analystes s’attendent à une crise financière et une récession d’ici l’année prochaine. Un avis que ne partage pas Lewis Alexander, chef économiste aux Etats-Unis de la banque Nomura.

Ces derniers jours, les indices boursiers américains ont atteint des niveaux records : le Dow Jones a frôlé les 27.400 points, pendant que le Nasdaq dépassait les 8.200 et le S&P500 les 3.000 points. Malgré les tensions géopolitiques avec la Chine et l’Iran, des dissensions en interne à l’égard du Président Donald Trump, et la situation en Europe, rien n’est venu entraver une croissance presque ininterrompue depuis le début de l’année.

Seuls les résultats décevants de certaines entreprises sont venus calmer quelque peu les ardeurs des marchés, en attendant une annonce de la Fed à la fin du mois qui devrait, selon toute vraisemblance, abaisser son taux directeur. Certains analystes s’attendent malgré tout à ce que les marchés se retournent prochainement.

Ce n’est pas l’avis de Lewis Alexander, chef économiste aux Etats-Unis de la banque Nomura.

BFM Business - Comment expliquer de tels niveaux des bourses américaines ?

Lewis Alexander - Je pense que ce qui est important à comprendre est la relation entre le niveau des taux d’intérêt et la croissance potentielle. Quand la courbe des rendements est plate, comme dans la situation actuelle, les marchés lancent un signal : selon eux, une courbe plate suggère que les taux vont remonter prochainement. En temps normal, quand la courbe est plate, les taux ont tendance à être similaires à la croissance nominale potentielle, comme ce fut le cas avant la crise de 2008-2009. En ce moment, bien que la courbe des rendements soit plate, les taux d’intérêt nominaux sont autour de 2% alors que la croissance potentielle est proche de 4%. C’est un écart très inhabituel. Et quand la croissance nominale est supérieure aux taux nominaux, la valorisation des actifs a tendance à être élevée.

Un autre aspect essentiel est la corrélation négative entre les prix des deux classes d’actions primaires que sont les actions et les obligations : quand le prix des actions augmente, les taux d’intérêts aussi, et donc le prix des obligations diminue. D’un point de vue d’un investisseur, c’est une excellente chose car il peut construire un portefeuille composé de ces deux classes d’actifs tout en étant couvert. Dans les années 1990, la corrélation était positive, ce qui rendait la vie des investisseurs bien plus difficile.

Les manuels d’économie nous apprennent que plus vous mettez de monnaie en circulation, plus l’inflation est forte. Or ces temps-ci, malgré la politique accommodante des banques centrales, cela ne semble pas être le cas…

Oui, pour la théorie monétariste, la situation actuelle est quelque peu problématique. Suite à la dernière crise, on pouvait penser qu’un bilan important de la Fed générerait de l’inflation. Or ce n’est pas le cas. Je pense que le lien entre monnaie, agrégats économiques et inflation s’est rompu il y a des décennies. Même les politiques non-conventionnelles, destinées à soutenir l’emploi, n’y ont rien fait. C’est très embêtant pour la Fed : le niveau d’inflation est bien en-dessous de ce qu’elle voudrait. Et cela pose de plus larges questions sur notre niveau de compréhension de ce qui provoque l’inflation. Mais que l’on comprenne ou pas, le fait est qu’il n’y en a pas. Donc il est difficile de dire si on peut s’attendre à une forte poussée inflationniste prochainement. Cela permet à la Fed de continuer d’être accommodante et proactive, plutôt que de réagir après coup. C’est un autre aspect majeur qui pousse les marchés vers le haut.

Beaucoup d’analystes estiment qu’une nouvelle crise menace. Qu’en pensez-vous ?

D’une certaine manière, je suis d’accord pour dire que nous sommes à la fin d’un cycle. Le risque de récession est élevé qu’une certaine manière parce que la croissance ralentit. Mais pour l’instant je ne pense pas que le risque de récession soit très important. Une courbe des rendements plate ne signifie pas forcément qu’il y en a une en préparation. Au milieu des années 1990, la situation était similaire, or il n’y a pas eu de récession avant 2001.

Cette période nous éclaire sur ce qu’il se passe aujourd’hui : quand on arrive à la fin d’un cycle, les taux d’intérêt ont tendance à remonter au-delà d’un niveau neutre. Autrement dit, la politique monétaire se fait plus restrictive au sens stricte du terme. Mais ce n’est pas ce que l’on observe en ce moment, car la Fed prend garde de ne pas reproduire les mêmes erreurs. De plus, nous vivons dans un monde où la volatilité cyclique a presque disparu. Il y a dix ans, la plus grosse récession que nous ayons connu depuis la Grande Dépression avait été provoquée par une crise financière. Cette fois-ci, je ne pense pas que ce schéma se reproduise. Et même si récession il y a, elle ne devrait pas être très importante.

Alors d’où pourrait venir la prochaine récession ?

De tout ce qui peut engendrer une récession. Le commerce et la confiance sont deux point évidents. Depuis un an, l’incertitude autour de la politique commerciale, notamment vis-à-vis de la Chine, a pesé sur la confiance des investisseurs et l’investissement : les effets des nouveaux tariffs douaniers commencent à se faire directement sentir. A l’avenir, la façon dont le conflit avec la Chine sera géré déterminera à quel point l’économie américaine ralentit. Car si la confiance des entrepreneurs est en berne, les investissements sont réduits, cela va ralentir les embauches et donc à terme la consommation. Il y a aussi un certain nombre de décisions fiscales qui doivent être prises prochainement et qui pourraient affecter la confiance des entrepreneurs et des consommateurs.

Un autre problème auquel on peut penser est le niveau relativement élevé de la dette des sociétés non-financières. Certains indicateurs laissent penser qu’à terme des problèmes peuvent arriver sur le marché obligataire. Même si ce n’est pas la manière qui me semble la plus probable d’entrer en récession, si récession il devait y avoir, elle se traduirait par une forte recrudescence des défauts d’entreprises. En ce qui concerne la dette étudiante, même si son niveau mérite que l’on s’en préoccupe, il est loin de celui des prêts hypothécaires avant la crise : on parle de 1.000 milliards de dollars, contre 8 à 9.000 milliards pour les subprimes. Ce n’est donc pas aussi systémique, d’autant plus que le plus gros du risque est détenu par le gouvernement fédéral.

Les tensions géopolitiques avec l’Iran peuvent-elles avoir un effet sur l’économie américaine ?

Par le passé oui, un conflit dans le Golfe Persique se traduisant par une explosion des prix du pétrole avait des répercussions sur l’économie américaine. Aujourd’hui la situation est différente : les Etats-Unis sont devenus un tel producteur de pétrole, qu’ils peuvent contrecarrer ces événements.

D’un autre côté, lorsque les prix s’effondrent, comme ce fut le cas en 2013-2015 quand le baril est tombé sous les 50 dollars après avoir été au-dessus des 100 dollars pendant un moment, l’industrie américaine en a souffert. A ce moment-là, beaucoup d’analystes affirmaient que des prix du pétrole bas sont bons pour la croissance. A mon avis, l’effet est plutôt neutre : ce que l’on perd du côté de la production, on le gagne du côté du consommateur. Et quand les prix remontent, les investissements dans le gaz et le pétrole contrebalancent une demande moindre des consommateurs. Donc ce qui se passe avec l’Iran est plus compliqué que ce que l’on pourrait croire.

Guillaume ALLIER