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L'enthousiasme chez Huawei du mathématicien français Laurent Lafforgue

Les nouveaux débuts chez l'équipementier technologique chinois Huawei d’une immense référence des mathématiques françaises, Laurent Lafforgue. Un fil conducteur stratégique.

C’est peu dire que les médias économiques et scientifiques chinois se montrent enthousiastes des premiers pas de Laurent Lafforgue chez Huawei. Ainsi, l’un d’eux explique qu'il est là pour contribuer à résoudre le plus grand problème mathématique du XXIème siècle. Ce lauréat en 2002 de la médaille Fields, l’équivalent d'un Nobel des mathématiques, a rejoint en septembre de façon permanente, en France, l’équipe scientifique du plus important équipementier chinois en télécommunications. Et l’industriel a décidé de commencer à présenter ses débuts à l’œuvre.

Les échanges, tels qu’ils sont rapportés, ont été entamés en 2017, avec un projet autour d’une théorie fondamentale. Deux ans plus tard, le professeur Lafforgue devient le premier titulaire de la chaire Huawei de géométrie algébrique à l’Institut des hautes études scientifiques, au sein du campus de Paris-Saclay, un pôle universitaire qui arrive au 13ème rang mondial du classement académique de référence de Shanghai.

"Pensée stratégique"

Le travail tourne autour du concept des "topos", qui fait partie de la théorie générale des réseaux de neurones profonds, où les algorithmes s'inspirent du cerveau humain. D’après le chercheur, il peut être utilisé, entre autres, pour servir l'architecture informatique de l'intelligence artificielle et développer des systèmes automatisés, afin d’aider les mathématiciens dans leurs recherches.

Dans un enregistrement de Huawei, Laurent Lafforgue déclare ainsi que "rejoindre l'entreprise était un voyage pour explorer un nouveau monde". Le site financier "Yicai" souligne que l'enseignant-chercheur français a constaté que Huawei dispose d'une "pensée stratégique difficile à atteindre dans les milieux universitaires". Une publication scientifique chinoise en ligne explique aussi que l’apport de cet universitaire entre dans "une stratégie d’attraction des talents de classe mondiale", dès lors que Huawei, sous le feu de la défiance des Etats-Unis, se trouve dans "une période critique à la fois de survie et de développement".

"Oser ouvrir son esprit"

Le fondateur Ren Zhengfei parle, lui, "d’oser ouvrir son esprit" et de "s’émanciper davantage" en vue d'attirer les meilleurs. Ce serait donc là affaire de philosophie. A cet effet, dans un récent entretien, il met en avant que 20 à 30 % des 15 à 20 milliards de dollars de dépenses annuelles en recherche-développement de son groupe sont consacrés à la recherche fondamentale. L’argument dans ce sens d’un recrutement en très grand nombre de mathématiciens, mais aussi de physiciens et de chimistes, a porté auprès du professeur Lafforgue.

Ren Zhengfei considère que cette méthodologie de R&D permet à son entreprise d’atteindre les "hauteurs les plus élevées", et Huawei entend maintenir de tels flux de ressources humaines exceptionnelles. La semaine dernière, le groupe a tenu sa conférence annuelle, avec pour thème les défis mondiaux par "l’ouverture et la confiance" dans la technologie. Le risque majeur d’une "dé-mondialisation" y a été déploré. C’est dans cette optique que la Chine perçoit comme primordiale une libre-circulation des plus grands scientifiques - dans les sciences exactes.

L’embauche en juin dernier par l’Université chinoise Tsinghua d’un autre médaillé Fields, Caucher Birkar, professeur à Cambridge, au Royaume-Uni, apparaît comme tout à fait significative. A cette occasion, un mathématicien sino-américain d’immense renom, Qiu Chengtong, enseignant aux Etats-Unis à Harvard et également lauréat de ce prix, a jugé qu’à Tsinghua ou bien à l’Université de Pékin "l'environnement est encore meilleur que dans la plupart des écoles américaines et européennes", avec des maîtres de cette discipline centrale.

Une interconnexion entre univers académique et champ industriel continue donc, pas à pas, de s’opérer en Chine, en vue d’une alternative, potentiellement déterminante.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international