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Elizabeth Holmes en prison, clap de fin pour l'incroyable feuilleton de la fraude Theranos

La star déshonorée des biotechnologies Elizabeth Holmes a été incarcérée mardi. Condamnée pour fraude, l’histoire de son ascension et de sa chute ont passionné les Américains et le reste du monde. Retour sur une des duperies les plus retentissantes du 21ème siècle dans le monde des affaires.

C'est le dernier acte d'une pièce de théâtre comme rarement il s'en est joué dans le monde des affaires, entre personnages hors-normes, secrets destructeurs et rebondissements en série. Ancienne prodige de la Silicon Valley désormais condamnée pour fraude dans le cadre de la gestion de sa biotech Theranos, Elizabeth Holmes a passé sa première nuit en prison, mardi au Texas.

11 ans de réclusion dans une prison pour femmes

L'entrepreneuse se sera battue jusqu’au bout pour tenter d’éviter la prison mais la sentence s'est confirmée il y a 15 jours: après le rejet de son dernier recours, le juge qui a présidé son procès, Edward Davila, lui a enjoint de se présenter aux autorités pénitentiaires américaines le 30 mai.

La condamnée de 39 ans s'est donc rendue à la Bryan Federal Prison Camp au Texas, mardi, pour "commencer à effectuer sa peine" qui s’élève à un peu plus de 11 ans de réclusion. Un établissement pour femmes, dédié aux "criminelles en col blanc" où elle semble attendue. Certaines résidentes ont déclarer "vouloir être son amie" tandis que d’autres ne comprennent pas qu’elle n’ait pas écopé d’une peine plus sévère, rapporte le Wall Street Journal.

Le juge Edward Davila a recommandé le choix de cet établissement au Texas afin de faciliter les visites familiales, Elizabeth Holmes ayant grandi dans la ville de Houston, dans le même État. L'ex-patronne de Theranos, promise à un brillant avenir, va donc passer toute sa quarantaine derrière les barreaux, loin de la gloire et la fortune qui lui étaient promises.

Theranos, une biotech révolutionnaire… bâtie sur du vent

Pourtant, le destin d'Elizabeth Holmes semblait être une parfaite histoire américaine, celle d'une jeune femme intelligente et déterminée qui avait tout pour être une role model pour sa génération. En 2003, alors qu'elle est étudiante à Stanford, elle lâche ses études dans cette prestigieuse université pour fonder sa propre entreprise, Theranos. Elle n'a que 19 ans.

Presque dix ans plus tard, avec une capitalisation estimée à plus de 9 milliards de dollars, sa société explose, tout le monde en parle dans la Silicon Valley. Et pour cause: l'entrepreneuse affirme avoir développé une technologie révolutionnaire qui permet d’effectuer des centaines de tests - allant du cholestérol au cancer - en ne prélevant qu'une toute petite quantité de sang, quand les laboratoires concurrents ne peuvent effectuer qu’un test par échantillon sanguin.

La fondatrice de Theranos, Elizabeth Holmes a été condamnée à 11 ans de prison
La fondatrice de Theranos, Elizabeth Holmes a été condamnée à 11 ans de prison © Glen Chapman - AFP

Plus rapide, moins coûteuse, sa technologie attire de nombreux investisseurs qui injectent des centaines de millions dans Theranos. Parmi eux, on retrouve des grands noms tels que le magnat des médias Rupert Murdoch ou encore l’ex-secrétaire d’État américain Henry Kissinger.

Pour les convaincre, Elizabeth Holmes, devenue une des plus jeunes milliardaires théoriques, se crée un personnage d'entrepreneuse sûre du bienfondé de sa biotech, elle récite un discours bien rôdé et va même jusqu'à changer le ton de sa voix. Mais il y a un hic: pour lever des fonds, la patronne de Theranos a menti sur son produit… qui ne marche pas.

Le pot aux roses dévoilé par la presse

L'attention des investisseurs se double bientôt d'une attention médiatique. Le produit révolutionnaire tant vanté par Theranos tarde à se montrer concrètement. En 2015, le journaliste du Wall Street Journal John Carreyrou publie une enquête qui marque le début de la chute de la société et de sa fondatrice.

Grâce à plusieurs lanceurs d’alerte internes, il révèle, entre autres, que l’entreprise n’utilise ses propres machines de diagnostic sanguin que pour une petite fraction des tests effectués, par manque de fiabilité. Pour le reste, des machines traditionnelles telles que celles de Siemens sont utilisées. La pépite de la biotech a englouti des sommes phénoménales sans aboutir à quoi que ce soit. En 2018, Theranos met finalement la clef sous la porte.

Trois ans plus tard, le procès de sa fondatrice, et de son numéro 2 et compagnon Ramesh "Sunny" Balwani, s’ouvre à San José, en Californie. Tous deux sont accusés de "fraude massive" à l'encontre des investisseurs et des patients traités par Theranos.

452 millions de dollars à rembourser

Devant le tribunal, une femme enceinte avait alors raconté comment elle avait cru, à tort, avoir fait une fausse couche après avoir utilisé l'un des tests de Theranos. Des employés ont témoigné avoir prévenu la patronne de leurs doutes sur le fonctionnement des machines. Certains ont aussi raconté à la presse les mensonges à répétition d'Elizabeth Holmes à ses équipes et à des investisseurs.

La défense a plaidé la bonne foi tandis que l'accusation peignait le portrait d’une femme qui a délibérément trompé ses partenaires pour lever des fonds, 950 millions de dollars en tout. En janvier 2022, elle est finalement condamnée pour escroquerie envers des investisseurs et relaxée des autres chefs d'accusation.

Elizabeth Holmes, la fondatrice de Theranos, au tribunal de San Jose en Californie, le 22 novembre 2021
Elizabeth Holmes, la fondatrice de Theranos, au tribunal de San Jose en Californie, le 22 novembre 2021 © Amy Osborne © 2019 AFP

En plus des 11 ans de prison (elle en risquait jusqu'à 20), Elizabeth Holmes est condamnée à une amende de 250.000 dollars. Surtout, elle doit rembourser les investisseurs lésés, à 50-50 avec Ramesh Balwani. Montant total à payer: 452 millions de dollars. Holmes a fait appel mais le juge a estimé qu'elle devrait quand même aller en prison le le temps qu'il soit étudié.

Une vie de famille reconstruite

Entre la fin de Theranos et cette condamnation définitive début mai, près de cinq ans se sont écoulés. En parallèle de son procès, Elizabeth Holmes a fait profil bas mais elle a essayé de reconstruire un semblant de vie, malgré l'épée de Damoclès de la prison au-dessus de sa tête.

Mère de deux enfants, elle s'était séparée de son ancien numéro 2 et s'était installée à San Diego, avec son mari Billy Evans dont les parents sont propriétaires d’une chaîne d’hôtels de luxe dans la même ville californienne. Dans une interview récemment octroyée au New York Times, après 7 ans de silence médiatique, elle explique à nouveau que Theranos n’était pas un complot pour s'enrichir.

"Je rêve toujours d’apporter ma contribution dans ce secteur [de la santé]", veut croire Elizabeth Holmes.

Si ses idéaux, ou illusions, persistent, la réalité frappe beaucoup plus fort à sa porte: elle doit rembourser, en plus de son amende astronomique, plus de 30 millions de dollars de frais de justice. Questionnée par le média américain sur la façon dont elle les paiera, elle a répondu: "Je ne peux pas […] Je vais devoir travailler pendant le reste de ma vie pour essayer de les payer".

Pour cette femme qui dit vouloir simplement passer le reste de sa vie auprès de ses proches, mais dont un de ses amis a avoué anonymenent au NYT qu'il ne faut pas croire tout ce qu'elle dit, la vie de famille à San Diego s'arrête ici. Et sa vie en prison commence.

Olivia Bugault, avec C.L.