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Comment les pays africains tentent de s'imposer à la tête de l'OMC

Ngozi Okonjo-Iweala

Ngozi Okonjo-Iweala - STEVE JAFFE / INTERNATIONAL MONETARY FUND / AFP

Le directeur général de l'organisation mondiale du commerce quittera ses fonctions, cet été, un an avant la fin de son mandat. L'heure est donc à la désignation de son successeur. Alors que le FMI et la Banque mondiale sont traditionnellement trustés par des Européens et des Américains, l'Afrique espère y placer son candidat commun.

La nouvelle, tombée comme un couperet, a quelque peu remué le paisible lac Léman. Le 14 mai dernier, le directeur général de l'organisation mondiale du commerce (OMC), le brésilien Roberto Azevedo, a annoncé à la surprise générale son départ du vénérable siège de l'organisation, installée à Genève. Il laissera sa place à la fin de l'été, un avant la fin de son mandat. "Il s'agit d'une décision personnelle, une décision familiale, et je suis convaincu que cette décision sert au mieux les intérêts de cette organisation", a-t-il déclaré lors d'une réunion virtuelle de tous les membres de l'OMC.

Dans une institution déjà très fragilisée, ce départ soudain n'augure rien de bon. En quelques années, l'institution est devenue une ombre, méprisée par Donald Trump, tournée en dérision par la Chine. Les tendances protectionnistes et la guerre commerciale ont mis un violent coup de frein au multilatéralisme et ont rendu l'OMC mourante. Depuis décembre dernier, l'instance d'appel de l'organe de règlement des différends (ORD), n'est même plus opérationnelle, faute de magistrats suffisants.

Le cas chinois

Comment en est-on arrivé là ? L'élection de Donald Trump a appuyé sur une plaie béante : Washington reproche à Pékin de subventionner excessivement son industrie et ses services, rendant le jeu du commerce international inégal. Toujours considéré comme un pays en développement par l’OMC, la Chine peut ainsi s'affranchir de certaines règles anticoncurrentielles, au grand dam des Américains, qui n'hésitent plus à subventionner à leur tour massivement leur économie. De son côté, la Chine n'a pas l'intention d'abandonner son statut privilégié. Coincée entre les grandes puissances qui tirent à elles la couverture, l'OMC a perdu son rôle de médiateur pour devenir un simple exécutant de sanctions réciproques.

C'est donc dans ce contexte pesant que l'institution doit désormais se trouver un nouveau ou une nouvelle patron(ne). Sur ce point, les institutions financières ont quelques coutumes, liées à leur histoire respective. Les Européens dirigent le FMI, les Américains la Banque Mondiale. L'OMC? Quatre Italiens, un thaïlandais et un Brésilien.

Pour le poste, les candidats de manquent pas. Et ce serait notamment une bonne occasion pour un pays africain de prendre la tête d'une institution internationale. Une occasion presque naturelle même. Si naturelle que les candidatures se multiplient depuis plusieurs semaines.

Deux femmes en pole

Deux femmes se démarquent : la Kényane Amina Mohamed et la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala. Toutes les deux anciennes ministres (du commerce pour la première et des Finances pour la seconde), elles cochent toutes les cases. Ngozi Okonjo-Iweala a été directrice générale de la Banque mondiale, sous la présidence de Robert Zoellick. Cette spécialiste de la dette publique est surtout connue pour son action contre la corruption mais ses opposants rappellent que son parcours est plus "financier" que "commercial."

La candidate du Kenya, Amina Mohamed, a déjà présenté sa candidature en 2013. Cette avocate, au profil politique, est l'ancienne directrice exécutive adjointe du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUD). Elle a surtout un réseau solide pour devenir la candidate de l'Afrique.

Mais il faudra aussi compter sur deux challengers issus de l'institution: le Suisso-Egyptien Hamid Mamdouh, ex-directeur de la Division du commerce des services de l'OMC et le Béninois Eloi Laourou, actuel président du Conseil du programme de Cadre intégré renforcé (Cir) de l’OMC. En clair, les pays africains sont encore loin de se mettre d'accord sur une personnalité commune. Pourtant, un profil venu du continent aurait toute son utilité pour donner un nouveau souffle à l'OMC, notamment parce que l'Afrique n'est pas pleinement partie prenante de la guerre commerciale qui oppose les Etats-Unis et la Chine, et dans une moindre mesure l'Europe. Ce serait aussi un signal fort envoyé au monde, alors que le 21ème siècle est souvent présenté comme le siècle de l'Afrique. 

L'Europe s'invite dans la course

En cas de candidature commune, encore faudra-t-il s'imposer face à une Europe, qui semble bien décidée à imposer sa voix et garder le l'OMC dans son giron. Le nom de Phil Hogan, commissaire européen au Commerce, est naturellement ressorti d'une réunion informelle (en visio-conférence) des ministres européens du Commerce. L'Irlandais, s'il n'a pas confirmé sa candidature, se montre intéressé depuis plusieurs semaines. "Je pense qu’il y a beaucoup de boulot à faire pour réformer l’organisation" a-t-il déclaré cette semaine.

Pour l'Europe, l'enjeu va au-delà du symbole. Comme le rappelle le site Politico, les Européens n'entendent pas raviver les critiques sur leurs subventions agricoles qui déséquilibrent les échanges avec l'Afrique. Les exportations massives de lait en poudre (en surproduction depuis la fin des quotas) menacent ainsi les producteurs locaux d'Afrique de l'ouest. Les 27 craignent ainsi d'être lésés dans les futures négociations commerciales, qui devraient notamment concerner la Chine. Or, la Chine a énormément investi en Afrique. Et les accusations de complaisance envers Pékin de l'actuel président de l'organisation mondiale de la santé, l'Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, sont encore dans toutes les têtes.

Les candidats pourront postuler jusqu’au 8 juillet, et le nouveau directeur entrera en fonction en septembre. Les jeux sont encore loin d'être faits.

Thomas Leroy