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Comment le Sri Lanka s'est enfoncé dans la crise économique

Le Sri Lanka fait face à la plus grave crise économique depuis son indépendance en 1948. Le résultat de l'effondrement de son secteur du tourisme et de décisions économiques, fiscales et agricoles aux conséquences désastreuses.

Inflation record, pénuries d’électricité, de nourriture et de carburant… Le Sri Lanka est confronté depuis des mois à sa plus grave crise politico-économique depuis son indépendance en 1948. Jugé responsable de la situation catastrophique du pays, le président Gotabaya Rajapasksa a accepté de démissionner la semaine prochaine, après avoir été contraint de fuir sa résidence envahie par la foule samedi dans le sillage des manifestations monstres à Colombo.

Covid-19 et attentats

L’économie du Sri Lanka est aujourd'hui en plein effondrement. En juin, l’inflation y a atteint 54,6%, neuvième record mensuel consécutif, et le PIB a chuté de 1,6% au premier trimestre. Le gouvernement a par ailleurs déjà fait défaut sur sa dette extérieure tandis que le manque de devises étrangères empêche les commerçants d'importer suffisamment de nourriture, de carburant et autres produits essentiels.

Résultat, 80% de la population sauterait des repas en raison des graves pénuries et de la flambée des prix des produits alimentaires qui touchent le pays, selon les Nations Unies. De la même manière, le gaz et l’électricité sont désormais soit indisponibles, soit trop chers pour la plupart 22 millions d'habitants. En six mois, le prix du diesel a quant à lui grimpé de 230%, celui de l'essence de 137%.

Parmi les éléments déclencheurs de la crise sri lankaise, le Covid-19 figure en haut de la liste. La pandémie a mis un frein brutal au tourisme qui pèse plus de 10% de l’économie du pays. Mais le secteur était déjà en net recul depuis la vague d’attentats islamistes de Pâques 2019 qui a fait 279 morts. Les réserves de devises étrangères pourvues par les revenus du tourisme et les transferts de fonds de la diaspora n'ont cessé depuis de s'assécher, menaçant le service de la dette.

Investissements douteux et réductions d'impôts inopportunes

La débâcle économique historique du Sri Lanka s’explique également par la combinaison de décisions de politique économique, agricole et fiscale plus malencontreuses les unes que les autres. Dans la région de Hambantota (sud), fief du clan des Rajapaska au pouvoir depuis deux décennies, un flot d'investissements a été gaspillé dans de grands chantiers d'infrastructures, entachés de soupçons de corruption, dont un aéroport international flambant neuf sans trafic, un centre de conférence inactif, etc.

Dès 2017, Colombo s'est retrouvé dans l'incapacité d'assurer le service de sa dette de 1,4 milliard de dollars contractée auprès de Pékin pour la construction d'un port en eaux profondes. Ayant perdu 300 millions de dollars en six ans d'exploitation, le Sri Lanka a été contraint de le céder pour 99 ans à une entreprise chinoise. Au cours de sa présidence (2005-2015), l'ex-Premier ministre Mahinda Rajapaksa aura ainsi considérablement endetté le pays, auprès de la Chine surtout, sa grande alliée, pour financer ces infrastructures.

En 2019, Gotabaya Rajapaksa a nommé son frère Mahinda Premier ministre et dévoilé les plus importantes réductions d'impôts de l'histoire de l'île, aggravant les déficits budgétaires chroniques. Les agences de notation n'ont pas tardé à rétrograder le Sri Lanka, craignant que la dette publique ne devienne ingérable et l'accès à de nouveaux prêts plus difficile.

Interdiction des engrais

Afin d'économiser les devises étrangères dont l'île manquait déjà dangereusement, tout en espérant en faire le premier producteur mondial d'aliments 100% biologiques, le gouvernement a décidé début 2021 d'ajouter les engrais chimiques à la liste des importations bannies.

Seulement, cette décision louable de promouvoir une agriculture verte n'était portée par aucun programme de transition écologique et a eu un effet dévastateur sur la production agricole du pays. Fin 2021, les engrais ont été à nouveau autorisés mais le pays s'enfonçant plus profondément dans la crise, ils sont devenus difficiles à importer, faute de dollars.

Pénuries et coupures de courant

Fin 2021, les réserves de devises du Sri Lanka s'élevaient à juste 2,7 milliards de dollars, contre 7,5 milliards à l'arrivée au pouvoir des frères Rajapaksa deux ans plus tôt. Les denrées alimentaires d'importation ont commencé à disparaître des rayons, obligeant les commerces à les rationner. Puis le pétrole, l'essence et le kérosène se sont à leur tour raréfiés.

De longues files d'attente sont désormais routinières dans tout le pays, pour s'approvisionner en produits de première nécessité (alimentation, médicaments, carburants). Les coupures d'électricité maintiennent une grande partie de la capitale Colombo dans l'obscurité chaque nuit.

Dette et défaut de paiement

Le nouveau gouverneur de la Banque centrale, à peine nommé, annonce le 12 avril le défaut de paiement de la dette extérieure du Sri Lanka estimée à plus de 51 milliards de dollars. Cette mesure n'a pas permis de consolider les finances qui se détériorent, le pays ne disposant plus que de 50 millions de dollars au début du mois de mai. Le Sri Lanka est actuellement en négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir un renflouement éventuel.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco