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Collaboration scientifique avec la Chine: les États-Unis proches de la rupture

L'accord qui structure la coopération des États-Unis avec la Chine dans le domaine scientifique arrive à échéance. À Washington, les Républicains veulent tirer un trait dessus et peuvent obtenir gain de cause.

Couper les ponts, y compris dans la science. L’opposition républicaine aux États-Unis souhaite que le ministère des Affaires étrangères ne reconduise pas un accord de coopération scientifique et technologique avec la Chine vieux de plusieurs décennies, au motif que les Chinois chercheraient toujours davantage à en faire usage à des fins militaires.

Le texte qui expire au 27 août, censé être renouvelé tous les cinq ans, couvre de larges champs de recherche, allant de l’agronomie à la physique, en passant par le biomédical, la chimie et les sciences de l’atmosphère.

Ce partenariat s'est décidé lors du premier voyage de Deng Xiaoping à Washington, en 1979, au sortir de l’ère Mao Zedong, avec la volonté du nouveau dirigeant et du Parti communiste chinois d’ouvrir le pays au monde et tendre ainsi vers la puissance économique, dans toutes ses dimensions. Avec, alors, un extraordinaire écart de production de savoir scientifique entre les deux nations.

Suite de l'incident des ballons de surveillance

Les Républicains, comme nombre de Démocrates, jugent l’époque révolue. Dans une lettre adressée au département d’État, leur comité restreint sur la Chine à la Chambre des représentants dénonce une utilisation de la recherche universitaire par Pékin visant à "prendre un avantage dans les technologies critiques, ce qui alimente à son tour la modernisation de l’armée".

Le comité parlementaire s’appuie d’abord sur l’incident du survol du territoire américain par des ballons de surveillance chinois en début d’année, présentés comme des instruments techniques de météorologie par Pékin et qualifiés d'outils d’espionnage par Washington. Ensuite, plus d’une douzaine de projets dans la science agricole sont mis en cause comme allant vers des "applications claires à double usage" civil et militaire, dont le recours à de l’imagerie par drone et satellite pour l’irrigation.

Un tel propos rejoint celui, élaboré en juin 2020, par les fondateurs de la société de conseil stratégique Horizon Advisory, pour qui "l’infiltration par la Chine des installations américaines de recherche est à la fois endémique et délibérée". En s'appuyant sur leur propre évaluation de documents chinois en accès ouvert, ces anciens analystes pour le Pentagone, écoutés du Congrès, soutiennent que cette "infiltration", "dirigée par l’appareil de fusion militaire-civil de Pékin" est rendue possible par "la tendance américaine à séparer la coopération de la concurrence". Une volonté de convaincre de ce qui serait l'approche candide de la science par l'Amérique.

Enjeu de lutte contre le réchauffement climatique

Le gouvernement démocrate n’a pas encore dévoilé sa position officielle, la diplomatie américaine avançant un refus de commenter des "délibérations internes". L’État chinois, pour sa part, réclame une reconduction, en affirmant avoir saisi la diplomatie américaine d’une demande de négociation dans ce sens dès l’année dernière.

En veillant à ne pas mentionner spécifiquement les États-Unis, en février dernier, le président Xi Jinping a lui-même plaidé, devant le bureau politique du Parti communiste, pour un "élargissement" de la recherche "conjointe", en évoquant quatre domaines: le changement climatique, la sécurité énergétique, la biosécurité et l’espace extra-atmosphérique.

Cela ne relève pas que de la proclamation politique. La conviction qu’expriment publiquement différents scientifiques chinois est que sans un cadre de partenariat entre les deux plus importantes économies au monde, il en va de la quête de solutions de long terme aux enjeux du climat.

Pour autant, à deux mois de l’échéance de l’accord, il semble politiquement inconcevable que les démocrates américains ne tiennent pas compte, sur le principe, de la requête des Républicains. Repartir pour cinq années supposerait donc de pouvoir remanier la totalité du texte de l’accord et surtout, pour l’administration Biden, d'assurer le Congrès que de nouveaux garde-fous très restrictifs vont fonctionner.

Lointaine époque

Récemment encore, certains ont voulu croire que la science fondamentale échapperait au "découplage" des deux grandes puissances. En mars 2022, la revue britannique Nature, au cœur du circuit mondial de publication académique, se réjouissait que "malgré des relations difficiles, la recherche collaborative soit restée résiliente". Et de donner en illustration, parmi bien d’autres, de tout l’intérêt de cette coopération entre les États-Unis et la Chine, les essais simultanés à New York et Canton aboutissant à des progrès dans la recherche de traitements du cancer.

Lointaine époque, en septembre 2014, un rapport commandé par la Commission économique et de sécurité États-Unis-Chine, à présent à l’avant-garde du processus de découplage, relevait avec satisfaction qu’au travers de l'accord de coopération, les articles universitaires co-rédigés par des chercheurs américains avec des collègues chinois dépassaient ceux avec "les partenaires traditionnels" -Royaume-Uni, Allemagne et Japon. Aussi, la Chine et les Etats-Unis étaient devenus, l’un pour l’autre, "le principal partenaire de collaboration scientifique".

Aujourd’hui, les arguments scientifiques autour des bienfaits réels ou présumés de ce partenariat sont relégués au second plan. Le parti démocrate dans sa grande majorité n’apparaît plus disposé à les défendre, quand bien même ce fut une administration démocrate, celle de Jimmy Carter, qui en posa les fondations.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international