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Retraites : le casse-tête du taux de cotisation unique à 28%

La génération née en 1956 est pénalisée par la réforme des retraites de 2010, qui a repoussé l'âge légal de départ de 60 à 62 ans.

La génération née en 1956 est pénalisée par la réforme des retraites de 2010, qui a repoussé l'âge légal de départ de 60 à 62 ans. - Gérard Julien - AFP

Le projet de réforme des retraites porté par le gouvernement est motivé par la complexité du système actuel qui nuit à sa lisibilité.

En ce sens, l’adoption d’un régime unique à points et par répartition présenterait le mérite d’offrir une égalité de traitement à l’ensemble des travailleurs en termes d’accumulation de droits à la retraite et de contribution à son financement.

La complexité observée résulte du fait que le système de retraite s’est historiquement organisée sur une base professionnelle plutôt qu’universelle. On distingue ainsi quatre grandes catégories de régimes :

  1. Le régime des salariés du secteur privé ;
  2. Les régimes des salariés de la fonction publique (Etat, hôpitaux et collectivités locales) ;
  3. Les régimes spéciaux des salariés des entreprises publiques ou assimilées (SNCF, RATP, EDF, GDF) ;
  4. Les régimes des travailleurs non-salariés (artisans, commerçants, professions libérales, exploitants agricoles, etc.)

Le haut-commissaire à la réforme, Jean-Paul Delevoye, a déjà annoncé que le nouveau régime de retraite se financerait sur les revenus bruts d’activités inférieurs à 3 plafonds de Sécurité Sociale (soit environ 100.000 euros annuels) et qu’un taux de cotisation (part patronale + part salariale) de 28% s’appliquerait sur ce revenu brut.

Si cette annonce est facile à comprendre, son application se heurte à une difficulté majeure : les notions d’assiette de prélèvement et les taux de cotisation diffèrent fortement entre les régimes.

Tout d’abord, les assiettes de prélèvement diffèrent entre les régimes pour deux raisons :

- Pour les salariés : l’assiette est le salaire brut (= coût employeur – charges patronales). Cette assiette n’est pas la même, à coût du travail identique, dans le secteur privé et le secteur public en raison de taux de cotisation différents. De plus, pour la fonction publique d’Etat, l’assiette se limite au traitement indiciaire brut, c’est-à-dire le salaire hors primes ;

- Pour les non-salariés : l’assiette est le « revenu soumis à l’impôt sur le revenu, net des charges professionnelles et cotisations sociales » (COR, 2018). Cette mesure du revenu ne correspond pas seulement à la rémunération du travail mais aussi à la profitabilité du capital investi. En comparaison, un dirigeant dont l’entreprise est soumise à l’IS ne paie des cotisations retraite que sur le salaire qu’il se verse. Etre en société soumis à l’IS permet donc de ventiler le revenu de l’activité entrepreneuriale entre travail (salaire) et rémunération du capital (profit).

Ensuite, les taux de cotisation appliqués (taux employeur + taux salarié ou taux non-salarié) sont très variables (pour une présentation détaillée, voir COR, 2018) : environ 28% pour le salaire inférieur au plafond dans le secteur privé et 23% au-delà et jusqu’à 8 plafonds ; environ 85% pour la fonction publique d’Etat ; de 15 à 46% pour les régimes spéciaux ; de 3 à 25% pour les non-salariés.

Ces disparités de taux témoignent de générosités variables des régimes en termes d’âge de liquidation ou de taux de remplacement et résultent également de déséquilibres démographiques différents en termes d’évolution du nombre de retraités par rapport à celle du nombre de cotisants. En effet, plus un régime est généreux et vieillissant, plus son taux de cotisation d’équilibre est élevé, et inversement.

Face à une telle diversité, une application d’un taux unique de 28% sur une assiette mal calibrée risque d’engendrer soit d’importantes baisses du revenu disponible pour les travailleurs qui adhérent actuellement à des régimes dont le taux de cotisation est inférieur au taux cible ou d’importantes hausses dans le cas inverse.

Ensuite, les différences de générosité des régimes actuels en termes de droits à pension déjà acquis posent un problème d’équité dès lors que le régime unique futur doit en assurer le paiement.

Pour contourner ces deux problèmes, le législateur pourrait s’appuyer sur deux principes généraux :

  1. Le taux de cotisation unique de 28% ne doit pas impacter le revenu net ;
  2. Les différences de générosité dans les droits à la retraite déjà acquis doit faire l’objet de financements spécifiques.

Neutraliser l’impact sur le revenu net de l’application du taux de cotisation unique nécessitera très probablement une redéfinition du salaire brut de référence pour les salariés et du revenu soumis à cotisation pour les non-salariés.

Pour éviter une mutualisation du financement des différences de générosité dans les droits à pensions déjà acquis, des bilans actuariels sur les implications financières de ces différences sont nécessaires. Les droits à pension déjà attribués par les régimes de retraite les plus généreux engendreront inévitablement des dépenses supérieures au montant des recettes que le taux unique de 28% sera capable de financer sur les seuls salaires des travailleurs adhérant à ces anciens régimes. Ces régimes les plus généreux auront donc à assumer d’importants transferts financiers futurs au profit du régime unique et ils devront aussi trouver les moyens de les financer. Le casse-tête ne fait que commencer…

Vincent TOUZE