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Guillaume Almeras

Vers la fin des grandes banques de détail en Europe?

Les deux banques avaient créé cette filiale en 2010

Les deux banques avaient créé cette filiale en 2010 - Damien Meyer - AFP

[TRIBUNE] Le digital crée des coûts nouveaux et importants, et les banques européennes qui ont misé dessus pour se développer ne l'ont pas forcément anticipé. Résultat: elles sont en perte de vitesse si on les compare aux banques américaine, analyse Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor .

L’année 2020, on le sait, n’a pas été bonne pour les banques. Toutefois, il s’est agi de plus que d’un accident conjoncturel. La crise sanitaire aura été surtout un révélateur et un accélérateur, à suivre les chiffres que retrace Deutsche Bank Research. L’inquiétant tableau suivant, qui campe l’évolution des revenus des établissements, est en effet sans appel: en Europe, et par contraste avec leurs consœurs américaines, les banques sont depuis dix ans en complète perte de vitesse!

Source: Deutsche Bank Research
Source: Deutsche Bank Research © Source: Deutsche Bank Research

Compte tenu de la différence de résultats des deux côtés de l’Atlantique, la crise sanitaire – qui n’a pas moins frappé les Etats-Unis que l’Europe, au contraire – n’explique rien. Dès lors, pour rendre compte des évolutions divergentes sur les deux continents, la plupart des analystes invoquent une série de facteurs: la réglementation, l’écrasement de la courbe des taux, la concurrence faite aux banques, moindres aux Etats-Unis. Et la taille du marché, ainsi que la croissance du PIB, bien plus fortes en revanche outre-Atlantique.

Cependant, bien qu’ils doivent évidemment être pris en compte, les effets de ces différents facteurs sont discutables. Pour les banques françaises, par exemple, la baisse des commissions nettes a été plus marquante ces dernières années que celle des revenus d’intérêts, ce qui relativise l’impact de la baisse des taux. Quant à dire que les banques américaines subissent une concurrence nettement moindre que les banques européennes, cela parait tout à fait discutable.

Un repli des banques européennes

Avançons donc une autre explication. Dans le tableau ci-dessus, l’évolution la plus frappante est celle des charges d’exploitation. Elles ont augmenté de près de 30% sur dix ans aux Etats-Unis quand elles baissaient de 11% en Europe. En d’autres termes, les banques américaines ont continué à se développer quand les Européennes étaient en repli.

En fait, il faut aller plus loin et dire que les banques américaines ont continué à investir quand les banques européennes sont tombées dans le piège de l’économie digitale: elles ont cru que la digitalisation leur permettait de fonctionner à activité constante et à coûts réduits. Alors que, bien plus probablement, les économies réalisées ont largement pesé sur les revenus.

C’est un constat que dressent aujourd’hui, après que la crise a accéléré leur digitalisation, les enseignes de la grande distribution aux Etats-Unis. Le digital crée des coûts nouveaux et importants. Et, à ce stade, il reste un canal de distribution bien moins efficace que les magasins traditionnels. Ceux-ci, comme les agences bancaires, sont désormais considérés comme de plus en plus inutiles. Pourtant, le digital ne les remplace pas. Au contraire, dans la distribution, il augmente les coûts opérationnels. Tandis que sur les canaux en ligne, les marques se banalisent et ont beaucoup plus de mal à s’imposer – elles n’y bénéficient plus de l’effet de halo que créent les magasins. C’est ce que les banques découvrent également avec les fermetures d’agences. On a trop négligé, ces dernières années, le fait que les nouveaux acteurs financiers digitaux ont pour la plupart des taux de développement relativement lents et que très peu d’entre eux sont près d’être rentables.

Dans ces conditions, la baisse des charges et donc des moyens des banques européennes ne pouvait manquer d’impacter leurs revenus. Elles ont mal estimé l’effet du passage au digital. Ou bien, comme le suggère un récent papier, elles se retirent lentement mais délibérément de la banque de détail de masse – à l’instar d’HSBC qui ferme ses réseaux dans un grand nombre de pays, pour se recentrer sur l’Asie et sur une clientèle internationale favorisée.

Le digital ne permettra un nouvel essor des banques de détail que si ces dernières rebâtissent leurs offres, particulièrement pour accompagner les nouveaux usages digitaux. Sur ce créneau, actuellement, en Europe, certaines fintechs se distinguent bien plus que la plupart des banques. Ces dernières estiment-elles que ce n’est plus tellement leur rôle? Avancer une réponse précise serait complexe et obligerait à distinguer les différents établissements. Mais le tableau ci-dessus ne peut qu’inviter à poser la question.

Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor