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Guillaume Almeras

Les banques au cœur de la problématique des monnaies numériques de Banques centrales.

[AVIS D'EXPERT] Les annonces sont nombreuses concernant de futures monnaies numériques de banques centrales, mais à quoi pourraient-elles bien servir et que changeraient-elles? L'analyse de Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Depuis quelques années déjà et surtout depuis plusieurs mois, les annonces se succèdent concernant les projets de CBDC ou monnaies numériques de Banques centrales en français. Et bien que les contours de ces projets, au gré des annonces, demeurent très flous, on imagine que se jouent là des décisions importantes, aux enjeux potentiellement colossaux. Et s’il n’en était rien? Et si cette idée de monnaie numérique de Banque centrale était pratiquement vide?

Ces questions pointent inévitablement à lire le document que vient de publier la Riksbank suédoise en conclusion de la première phase de son projet pilote d’e-krona. La Suède est en effet l’un des pays les plus engagés dans l’exploration des opportunités d’une monnaie numérique d’Etat et la naissance de l’e-krona avait d’abord été annoncée pour 2018. A ce stade, la décision de la lancer n’est toujours pas prise cependant – la fin de la phase exploratoire a été reportée à 2022, voire 2026 – dans la mesure où la Riksbank peine toujours à voir exactement ce que cette monnaie numérique devrait être et à quoi surtout elle pourrait servir.

Une disparition des banques commerciales?

On associe beaucoup l’apparition des monnaies numériques de Banque centrale à la disparition du cash. Pourtant, il n’est nullement besoin d’une nouvelle monnaie numérique pour supprimer le cash. On pouvait s’en douter. La Banque centrale de Norvège – peut-être le pays où l’usage du cash a été le plus réduit – a indiqué qu’elle ne voyait pas l’intérêt d’une monnaie numérique. Le document de la Riksbank a le mérite de l’énoncer clairement. La suppression du cash est une problématique en soi, par rapport à laquelle d’ailleurs la Suède, qui s’y était fortement engagée, semble marquer aujourd’hui un recul. Une problématique indépendante.

Pour le reste, un constat s’impose: l’essentiel de la masse monétaire, dans tous les pays, existe déjà sous forme numérique. De sorte que c’est face aux cryptodevises – face au bitcoin particulièrement, ainsi qu’au projet Libra de Facebook – que l’idée est apparue que les Banques centrales pourraient leur créer des sortes de répliques nationales, elles-aussi gérées sur des systèmes de règlement nouveaux de type blockchain.

Or, si l’Euro était géré à l’instar du bitcoin (ou de l’ether plutôt, bien plus praticable), toutes les transactions et tous les comptes en euros seraient enregistrés sur une unique chaine de blocs non plus décentralisée mais pilotée par la BCE. Dès lors, il n’y aurait plus besoin de banques ! Nous aurions nos comptes inscrits sur la chaine de blocs centrale. Nous y ferions nos dépôts et il ne serait plus besoin d’établissements particuliers pour les convertir en crédits.

La Riksbank affirme néanmoins travailler désormais sur un schéma dans lequel, malgré la monnaie numérique centrale, les banques commerciales existeraient toujours. De même, la Bank of England et le Trésor britannique viennent de lancer une réflexion portant sur la création éventuelle d’une monnaie numérique centrale coexistant avec l’argent liquide et les comptes en banque actuels.

Mais de deux choses l’une: soit les banques commerciales continuent à fonctionner comme aujourd’hui. L’apparition d’un euro numérique modifiera alors certains modes de gestion de la BCE mais ne changera en rien pour l’essentiel le fonctionnement monétaire actuel (y compris si les banques acquièrent le statut de « nœuds » dans le nouveau système de gestion). Dans ces conditions, on peut donc se demander sur quels grands enjeux porte exactement la réflexion concernant les monnaies numériques de Banque centrale.

Un eurocoin qui ressemblerait beaucoup à l'euro

Soit, comme nous l’avons vu, la BCE supplante toutes les banques commerciales dans la gestion et la circulation de la monnaie. Toutefois, à part nourrir abondamment les fantasmes complotistes de contrôle totalitaire, on peut sérieusement se demander quel serait l’exact intérêt d’une perspective aussi effarante - qui parait de plus largement irréalisable techniquement.

Certes, d’autres perspectives sont ouvertes si l’on adopte les nouveaux modèles qu’offrent certaines cryptodevises. Pour autant qu’on puisse le savoir, ainsi, le yuan numérique pourrait être associé à un modèle de blockchain qui, à l’instar d’Ethereum, serait un ordinateur global ou plutôt matriciel favorisant la multiplication de systèmes d’échange coordonnant d’un seul tenant flux de monnaie et de biens, en même temps que leurs contrats associés. Par ailleurs, les cryptodevises inspirent la formation de nouveaux systèmes de règlement et d’échange transnationaux, y compris et surtout privés. Mais ces thématiques ne sont pas reprises par la plupart des projets de monnaie numérique centrale. Lesquels s’efforcent plutôt de répondre à leur façon à ces nouveaux modèles qui rendent inutiles… les banques centrales.

Ainsi, les annonces et les projets ont beau s’accumuler, on peut se demander s’ils aboutiront à autre chose qu’à mettre en place de grands registres distribués qui ne seront pas du tout distribués mais centralisés et ressembleront ainsi comme deux gouttes d’eau aux systèmes de gestion existants. Comme un hypothétique "eurocoin" pourrait bien au final ressembler très fortement à l’euro.

Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor