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Vélos électriques: une start-up grenobloise attaque Cowboy soupçonnant un vol d'intelligence artificielle

La technologie AdaptivePower des vélos Cowboy est contestée par eBikeLabs, une startup grenobloise qui affirme en être l'inventeur.

La technologie AdaptivePower des vélos Cowboy est contestée par eBikeLabs, une startup grenobloise qui affirme en être l'inventeur. - Cowboy

eBikeLabs, une start-up grenobloise, accuse Cowboy d'avoir copié sa technologie d'assistance électrique pour l'utiliser sur sa nouvelle gamme de vélos. Elle attaque l'entreprise belge pour contrefaçon de brevets, vol de savoir-faire et concurrence déloyale. Cowboy réfute ces accusations.

L'Adaptative Power est récemment entré au cœur de l'innovation des vélos Cowboy. Cette technologie ajuste la puissance du moteur en pédalant sans forcer que l'on soit face au vent ou dans les montées. La société grenobloise eBikeLabs, spécialisée dans les solutions logicielles pour vélos à assistance électrique, accuse Cowboy d'avoir copié sa technologie et attaque l'entreprise belge pour contrefaçon de brevets, vol de savoir-faire et concurrence déloyale.

Pour comprendre, il faut remonter quelques années en arrière, à l'époque où ces deux entreprises étaient partenaires. Créée en 2015 par Maël Bosson, PDG de la start-up, eBikeLabs a mis au point un algorithme de gestion de la puissance du moteur. Titulaire d'un doctorat en mathématiques et informatique, ce passionné de vélo invente une intelligence artificielle embarquée en s'inspirant des boîtiers électroniques utilisés par l'industrie automobile pour les voitures autonomes.

Une option d'achat de la start-up

Cette technologie, qui a nécessité 2,5 millions d'euros en R&D, détecte les obstacles au pédalage pour adapter l'effort en temps réel avec un rétropédalage qui régénère la batterie en ralentissant. Elle dispose aussi d'un antivol pour bloquer le moteur et rendre impossible le pédalage. Le but était de proposer sa technologie aux fabricants de vélos à assistance électrique pour l'intégrer dans leur modèle. Pas moins de sept brevets ont été déposés.

"L'idée est d'ajouter des fonctionnalités aux vélos pour simplifier le design des vélos, les rendre plus robustes et plus accessibles aux utilisateurs. Notre but est de créer un standard logiciel qui remplacerait les systèmes propriétaires des fabricants", nous explique Maël Bosson.

Séduit par ce projet, Cowboy signe en 2021 avec eBikeLabs un contrat d'exclusivité d'un an pour l'intégration de cette technologie pour un montant de 930.000 euros. Selon des informations révélées par le journal économique belge L'Echo, le contrat comportait une option d'achat de la start-up au terme de cette année. eBikeLabs licencie alors ses deux commerciaux devenus inutiles. Mais après cette période, le fabricant belge décide de mettre fin à ce partenariat.

"Après cette séparation, on a eu la surprise de découvrir Adaptive Power, une technologie similaire à la nôtre. On a donc décidé de les attaquer en justice pour faire valoir qu'il s'agit de notre technologie", indique le dirigeant.

Dans un courriel envoyé à ses actionnaires (révélé par Maddyness), la start-up dit avoir "proposé à Cowboy de faire analyser leur code par un expert indépendant pour établir s’ils violent ou non notre brevet, ce qu’ils ont pour l’instant refusé sans donner de raison". En avril, des huissiers ont saisi des vélos Cowboy au Bon Marché Rive Gauche à Paris, suite à une ordonnance du tribunal judiciaire de Paris.

Des allégations réfutées par Cowboy

Cowboy réfute vivement ces accusations. La société a même poursuivi eBikeLabs pour dénigrement, réclamant 100.000 euros de dommages. En juin, elle a été déboutée et a dû verser, selon nos informations, 5000 euros à la startup.

"Cowboy réfute toutes les allégations faites par eBikeLabs dans leur e-mail divulgué et les contestera formellement", nous a déclaré un porte-parole de Cowboy.

L'entreprise nous a aussi précisé que son logiciel a évolué progressivement, intégrant chaque année de nouvelles fonctions. Dernièrement, elle l'a complété avec des fonctions issues de Google Maps en apportant aussi "le déverrouillage automatique, la détection de collision et la surveillance de la qualité de l'air".

Dans un courrier adressé au journal belge L'Echo, Cowboy affirme également que "le développement de la fonctionnalité Adaptive Power (…) est le fruit du travail mené de manière autonome par les équipes de Cowboy, à partir de connaissances publiques".

Pot de fer contre le pot de terre

La justice devra dire qui des deux sociétés est dans son bon droit. Mais l'affaire peut ressembler à la fable du pot de fer contre le pot de terre. D'un côté, Cowboy est une entreprise qui pèse financièrement avec des moyens solides pour s'engager dans un procès long et coûteux. En quelques années, elle est devenue une marque européenne emblématique du VAE.

En 2020, l'entreprise a annoncé une levée de 23 millions d'euros. L'année d'après, elle atteignait 80 millions d'euros. Au total, elle a bénéficié de 106 millions d'euros (120 millions de dollars) en 5 ans. Parmi ses investisseurs, Hardware Club, ExorSeeds, la filiale d’Exor (actionnaire de contrôle de Ferrari et FCA), HCVC, Siam Capital, Index Ventures, Tiger Global et Eothen, Isomer Opportunities Fund. En 2022, le chiffre d'affaires de Cowboy a dépassé les 40 millions d'euros avec la vente de 20.000 vélos.

eBikeLabs est loin de ces montants. Elle s'est lancée en financement participatif en "crowdequity" sur WiSeed en réunissant plus d'un million d'euros avec 600 donateurs devenus actionnaires. Au total, elle a obtenu 2 millions d'euros depuis sa création il y a 8 ans. Lauréate du concours d'innovation I-Nov de BPI France, eBikeLabs vient d'obtenir un financement de 1,3 million d'euros.

Des préjudices d'image

Pour se relancer, la start-up, qui avait arrêté toutes ses opérations commerciales pendant la période d'exclusivité avec Cowboy, compte cette année obtenir 3 millions d'euros supplémentaires, dont 500.000 euros via une nouvelle campagne de financement participatif sur Sowefund. Le but est de se relancer avec d'autres constructeurs. La start-up serait en discussion avec "une dizaine de marques" pour intégrer la technologie dans des futures gammes de vélo.

Désormais, la start-up grenobloise attend la décision de la justice, qui pourrait ne pas être rendue avant début 2024. Mais avant, Cowboy pourrait se voir provisoirement interdire par la justice de vendre les vélos équipés de l'AdaptativePower en attendant le verdict définitif.

La société belge va-t-elle aller jusqu'au procès ou un accord sera-t-il négocié pour éviter des préjudices d'image? Aucune des deux entreprises ne répond sur ce point très sensible qui pourrait se régler à coups de millions. Pour le moment, elles sont prêtes à en découdre. Toutes deux s'estiment dans leur bon droit et chacune victime de l'autre.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco