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"Protester comme les Français": un grand magasin en grève au Japon, une première depuis 1962

Un employé du grand magasin Seibu en grève devant l'enseigne, à Tokyo.

Un employé du grand magasin Seibu en grève devant l'enseigne, à Tokyo. - Kazuhiro NOGI / AFP

Une grève rarissime a touché jeudi un grand magasin de Tokyo, l'un des plus connus du Japon, ses salariés s'inquiétant des conséquences pour l'emploi de la vente imminente de leur enseigne.

Première grève depuis 1962 dans un grand magasin japonais. Des volets noirs fermés et des affiches annoncent une fermeture "exceptionnelle" dans l’une des boutiques les plus connues du pays.

Environ 900 employés et membres du syndicat du grand magasin Seibu Ikebukuro à Tokyo se sont mis en grève pour protester contre la cession de l'entreprise exploitante du magasin, Sogo & Seibu, en difficulté depuis des années.

"Nous sommes sincèrement désolés pour la gêne occasionnée", répétait l'un des syndicalistes dans un mégaphone devant l'entrée principale, où une vingtaine d'employés s'étaient alignés afin de ne pas gêner les passants.

Cession à un investisseur américain

Ils distribuaient des tracts pour expliquer leur mouvement social aux habitants et aux usagers de la gare d'Ikebukuro, l'une des plus fréquentées au monde, adjacente au grand magasin qui attire chaque année quelque 70 millions de visiteurs sur ses 14 étages.

Sogo & Seibu compte neuf autres grands magasins à Tokyo et ailleurs au Japon. Les quelque 5.000 salariés de l'enseigne craignent une restructuration sévère après sa vente par son propriétaire Seven & i Holdings au groupe d'investissement américain Fortress.

"À ce stade, le syndicat n'est pas convaincu que le projet de vente soit basé sur la continuité des activités et qu'il garantisse le maintien des emplois", avait déclaré en début de semaine Yasuhiro Teraoka, le chef du syndicat du magasin d'Ikebukuro.

"Protester davantage comme les Français"

La grève faisait la une des médias au Japon. Des chaînes de télévision filmaient en direct devant le magasin, y compris depuis les airs au moyen d'un hélicoptère affrété pour l'occasion.

"Je trouve que la grève est révolutionnaire", a déclaré à l'AFP Susumu Aso, un retraité de 68 ans confiant avoir fait deux heures de trajet en train pour venir voir cette mobilisation. "Je pense qu'elle aura un effet important à l'échelle nationale."

"En tant que citoyen, je ne peux pas accepter la vente", a affirmé à l'AFP un Japonais âgé de 74 ans qui brandissait une pancarte de soutien aux grévistes. "Les Japonais devraient protester davantage comme les Français", a ajouté ce sympathisant.

La vente de Sogo & Seibu sera finalisée vendredi, ont confirmé jeudi Seven & i Holdings et Fortress dans des communiqués distincts. Le groupe américain a promis de maintenir l'emploi "dans la mesure du possible" et dit vouloir investir plus de 138 millions de dollars pour moderniser les grands magasins, en partenariat avec la chaîne de produits électroniques Yodobashi.

Déclin continu des grands magasins

Les grèves étaient courantes au Japon dans les années 1970. Mais par la suite, à mesure que l'économie japonaise s'essoufflait, les syndicats ont privilégié des relations "stables" avec le patronat pour garantir la sécurité de l'emploi et des avantages sociaux, explique à l'AFP Hiroyuki Minagawa, spécialiste du droit du travail et professeur à l'université de Chiba.

Une autre raison du faible nombre de grèves au Japon aujourd'hui est l'augmentation des effectifs des travailleurs temporaires ou précaires ces dernières décennies, alors que les grands syndicats défendent les intérêts des employés permanents, selon cet expert. Tous secteurs d'activité confondus, seulement 33 grèves ont été enregistrées en 2022 dans le pays, selon le ministère nippon du Travail.

La vive inquiétude des salariés de Sogo & Seibu s'explique parce qu'avec un groupe étranger comme nouveau propriétaire, un changement de la culture d'entreprise et des relations entre direction et salariés est à attendre, selon Hiroyuki Minagawa.

Les grands magasins sont une institution au Japon, mais beaucoup peinent à s'adapter aux nouveaux modes de consommation, et ceux situés hors des principaux centres urbains du pays souffrent en plus du déclin démographique.

Leur nombre est passé de 311 en 1999 à 181 cette année, selon une récente note de Michael Causton, cofondateur du cabinet d'études JapanConsuming, relevant que certains d'entre eux fonctionnent désormais comme des centres commerciaux.

S.A. avec AFP