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Transports

Vacances d'été: pourquoi il faudra s'armer de patience dans les aéroports français

Si les professionnels du secteur ne prévoient pas de chaos à l'image de certains aéroports européens, le bond attendu du trafic combiné aux pénuries de personnels vont allonger les temps d'attente.

Files d'attente d'embarquement qui s'allongent jusqu'à l'extérieur des aéroports, attentes interminables lors des vérifications de sécurité, retards en pagaille et bagarre entre les passagers... Ces images de chaos s'observent déjà dans de nombreux aéroports européens (Londres, Amsterdam...) et devraient encore perdurer cet été pour les grandes vacances à cause des manques de personnels au sol et à bord des avions.

Les aéroports français n'échapperont pas à ces dysfonctionnements même si la situation semble moins tendue qu'ailleurs en Europe.

"Il y aura 15 à 20% de pénurie de personnels dans les aéroports français. On sauve les meubles grâce au chômage partiel mis en place pendant la crise sanitaire qui a permis de sauver des compétences mais pas toutes", explique Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français qui s'exprimait lors du congrès annuel de la Fnam (Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers) qui se tenait ce jeudi à Paris.

80 à 85% des effectifs seront présents mais des disparités régionales

Pas de chaos en perspective mais des temps d'attente largement rallongés: les passagers devront prendre leurs précautions et arriver bien en avance avant l'heure de décollage (au moins 3 heures donc). Car les personnels qui manquent le plus sont les agents de sécurité et les agents d'escale.

Cette pénurie va se combiner à un rebond fort du trafic. "L'activité pour cet été est 20% supérieure à celle de 2019, il y a une envie très forte de voyager, d'ailleurs la durée des séjours augmente aussi de 20%" confirme Jean-Pierre Mas, président des entreprises du voyage.

On peut s'interroger sur cette situation. Le secteur aérien constate depuis plusieurs mois cette reprise forte, pourquoi alors ne pas avoir anticipé en recrutant des personnels pour cet été. La réponse est simple: le secteur a été échaudé par les multiples stop-and-go dus à la pandémie et les candidats se font rares.

Pour offrir une bonne qualité de service, les aéroports français cherchent désespérément 4500 personnes. "On va passer l'été mais ça sera compliqué. Si au global on aura 80/85% des effectifs, dans certains endroits comme à Lyon ou Nantes, on ne trouve personne. On se fait cannibaliser par d'autres employeurs comme Amazon", estime Didier Montegut, directeur général du groupe 3S Alyzia, un opérateur d’assistance aux compagnies aériennes en escale.

Nombreuses contraintes qui font fuir les jeunes

Le monde aéroportuaire souffre en fait des mêmes contraintes d'attractivité que l'hôtellerie-restauration par exemple. On peut citer: les horaires décalés, les plannings tardifs, le manque d'accessibilité des infrastructures (pas de transports en commun en pleine nuit), des contrats courts et bien sûr les salaires.

Mais ce n'est pas tout. La filière déplore les délais de recrutements très longs entre la signature du contrat et la prise de poste car il faut obtenir de nombreuses autorisations administratives (les fameux badges) notamment pour les emplois liés à la sécurité. "Cela suffit à perdre un candidat" souligne Didier Montegut.

Sans oublier la méconnaissance des métiers proposés et une image qui ne correspond plus à la réalité. "Beaucoup de jeunes estiment désormais que travailler pour le secteur de l'aviation est toxique. Ils ne veulent plus y aller. Le nombre de contrats pros en apprentissage s'écroule littéralement alors qu'on a les outils et les financements ", se désole Raphaël Caccia, trésorier de l'Akto, un spécialiste de la formation professionnelle.

"Il faut aller parler aux jeunes des quartiers populaires, leur dire que mécanicien d'avions, ce n'est plus avoir les mains dans le cambouis. Il y a une vraie ignorance de ces métiers", renchérit Michel Leprêtre, président de l'établissement public territorial Grand-Orly.

Manque de visibilité qui n'incite pas à des recrutements sur le long terme

Il s'agit donc dans l'urgence de travailler la communication, la présence dans les lycées et les collèges, mettre en avant les CFA et bien sûr augmenter les salaires qui sont trop bas.

Surtout, il y a très peu de différences en rémunération entre celui qui a une vraie qualification et celui qui n'en a pas. "Augmenter les salaires, revoir la classification des métiers, la convention collective sont des priorités", souligne Raphaël Caccia. Mais les négociations sectorielles beaucoup de temps et les avancées sont longues à se concrétiser...

Il sera donc difficile voire impossible de recruter aujourd'hui des personnels pour les vacances d'été. D'autant plus que l'incertitude plane sur l'activité pour le reste de l'année. "Oui il y a une reprise de la demande mais je suis très circonspect pour l'automne, nos chiffres montrent déjà un creux pour septembre-octobre", estime Marc Rochet, directeur général d'Air Caraïbes. Quant au voyage d'affaires, il ne redécolle pas.

"L'inflation, le renchérissement mécanique du prix des billets à cause du pétrole et des taxes, la situation internationale sont autant d'éléments qui nous incitent à être très prudents, la reprise n'est pas acquise, l'automne sera le moment de vérité" confirme Thomas Juin de l'Union des aéroports français.

Ce manque de visibilité pourrait donc inciter les compagnies et les aéroports à ne pas recruter sur du long terme et retomber sur une saisonnalité des embauches qui rebute au plus haut point les jeunes qui pourraient être intéressés. C'est donc le serpent qui se mord la queue...

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business