« Les agriculteurs doivent cesser de crever en silence »

Pour la première fois, un céréalier français attaque la multinationale américaine. Il l'estime responsable de sa maladie, après avoir inhalé un herbicide aujourd'hui interdit. Témoignage.

Paul François, un céréalier français de 47 ans, tente de faire reconnaître par la justice la responsabilité de la multinationale Monsanto dans l'intoxication invalidante dont il estime être victime, après avoir utilisé un herbicide aujourd'hui interdit.

Tombé gravement malade en 2004 après avoir manipulé du Lasso, son cas était examiné lundi par la chambre civile du tribunal de grande instance de Lyon. « Nous attendons du tribunal qu'il déclare Monsanto responsable du préjudice et que l'obligation d'information sur le produit n'était pas respectée sur l'étiquette », a dit devant le tribunal son avocat, François Lafforgue.

Sur l'antenne d'RMC ce mardi matin, Paul François reproche à la firme américaine d'avoir continué à commercialiser un produit déjà interdit à l'époque dans plusieurs pays : «Je ne suis pas scientifique, mais comment se fait-il que le produit ait été dangereux pour nos collègues belges, canadiens ou autres, et pas pour nous ? » a-t-il demandé.
« Monsanto connaissait la dangerosité de ce produit depuis 1982 et l'a laissé sur le marché le plus longtemps possible puisqu'il n'a été retiré en France qu'en 2007 », a affirmé l'avocat de l'agriculteur.

Paul François, qui exploite 400 hectares de céréales, avait l'habitude de traiter ses champs de maïs avec du Lasso. C'est en vérifiant le contenu de la cuve contenant le produit après l'épandage qu'il a inhalé, le 27 avril 2004, des vapeurs du produit.
L'agriculteur a rapidement été victime de malaises. Souffrant de vertiges et bégaiement, il a bénéficié d'un arrêt de travail de cinq semaines avant d'être hospitalisé à plusieurs reprises dans les mois qui ont suivi pour divers troubles neurologiques. En février et mai 2005, soit un an après les faits, des analyses révélèrent la présence de chlorobenzère dans ses urines et ses cheveux, preuve d'une intoxication ancienne.

« On nous culpabilise »

La partie civile considère que le géant américain des phytosanitaires a commis une faute dans l'étiquetage du Lasso. « Il n'y avait pas d'information claire sur l'étiquette », a avancé l'avocat, selon lequel il a fallu faire des analyses du produit pour découvrir la dangerosité des composants. « Aujourd'hui, mon client n'a pas pu reprendre son travail à temps complet, il a dû engager un employé et est réveillé la nuit par des douleurs importantes », a dit François Lafforgue.

Pour la défense de Monsanto, Jean-Philippe Delsart avance « qu'il n'est pas possible scientifiquement de retrouver des traces du produit sept mois après l'inhalation ». Il reproche de plus à l'agriculteur, qui ne portait pas de masque, de ne pas s'être protégé suffisamment. « Et le chlorobenzère a été identifié comme pouvant produire les cancers de la lymphe, et ce n'est pas ce dont se plaint monsieur François », souligne Jean-Philippe Delsart.

C'est la première fois qu'un particulier s'attaque au géant américain. Le céréalier espère que son action devant la justice encouragera ses collègues à dénoncer comme lui les maladies professionnelles liées à l'utilisation de produits chimiques. « Il est très difficile pour nous de sortir du silence, car on nous culpabilise », estime Paul François. Ce mardi matin, il a déclaré à Jean-Jacques Bourdin sur RMC: « Les agriculteurs doivent arrêter de crever en silence ». Il poursuit : « Aujourd’hui, on est montrés du doigt comme des grands pollueurs. On l’est certainement, mais j’aimerais que ceux qui fabriquent la pollution viennent autour de la table et assument leurs responsabilités. »

La décision du tribunal sera rendue le 13 février.