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Transports

Comment les compagnies aériennes traînent des pieds pour rembourser les billets annulés pendant le covid

De nombreux clients lésés doivent aller en justice pour obtenir gain de cause alors qu'un règlement européen les protège. La DGAC indique que dix compagnies ont déjà été sanctionnées.

"Nous attendons depuis 3 ans notre remboursement, pour un voyage annulé à cause du Covid. J’ai beau appeler toutes les semaines, on me répète sans cesse que mon remboursement va arriver," dénonce sur les réseaux sociaux Julie B.

"On est dans une impasse, on ne sait plus quoi faire, se désespère Jacky, client de la compagnie TAP Air Portugal qui a témoigné auprès de nos confrères de RMC. Il nous manque près de 2100 euros, on n'a pas eu la prestation et ça me paraît normal d'être remboursé". Deux exemples parmi d'autres.

Les compagnies aériennes l'avaient pourtant promis la main sur le cœur. Au printemps 2020, lorsque la vague Covid a déferlé sur l'Europe, entraînant des confinements stricts et l'interdiction de voyager, elles assuraient que les billets de milliers de vols annulés seraient remboursés rubis sur l'ongle. En octobre 2021, seize compagnies européennes s’étaient de nouveau engagées, par voie de presse, à rembourser l’ensemble de leurs passagers sous 7 jours.

On évoquait alors, au niveau mondial, 35 milliards de dollars de billets vendus à rembourser pour le seul deuxième trimestre 2020. Avec des revenus en chute libre, les compagnies ont alors rechigné à rembourser rapidement, certaines préférant distribuer des avoirs avec la bénédiction de la Commission européenne. "Une question de survie pour les compagnies", justifiait alors l'IATA, l'association internationale du transport aérien.

En réalité, les opérateurs devaient se plier au règlement européen 261/2004 selon lequel les clients dont le vol a été annulé doivent "avoir la possibilité de se faire rembourser leur billet ou d'obtenir un réacheminement dans des conditions satisfaisantes".

Les compagnies aériennes ont tourné la page Covid

Si l'argument pouvait être entendu en 2020-2021, il l'est beaucoup moins depuis 2022 avec la reprise solide du trafic aérien mondial. Il l'est encore au moins au regard des dizaines de milliards d'euros d'aides publiques qui ont été déversés sur les grandes compagnies pour leur éviter la faillite.

Résultat, face à la mauvaise volonté de plusieurs compagnies, les contentieux en justice se multiplient. Et les clients lésés sont nombreux. En France, pas moins de 7561 passagers ont fait appel aux services de l'avocate spécialisée Joyce Pitcher. "Cela représente près de 6 millions d'euros de remboursements réclamés aux compagnies aériennes par cette seule avocate", explique-t-elle dans un communiqué.

Surtout, les contentieux concernent de grandes compagnies, notamment celles qui avaient promis un remboursement intégral en 7 jours: "Thai Airways, Alitalia (désormais appelée ITA), Norwegian, TAP, Tunisair, Air Madagascar, Air Algérie, Royal Air Maroc ou encore British Airways", liste l'avocate.

3,2 millions d'euros récupérés

Concrètement, sur les 7561 passagers dont elle a la charge, 5877 ont dû aller en justice après une approche à l'amiable qui n'a rien donné, engorgeant au passage le tribunal d’Aulnay-Sous-Bois (Seine-Saint-Denis), référent de l’aéroport Charles De Gaulle. Au point de devoir organiser deux matinées d’audience par mois, exclusivement consacrées à ces dossiers, lors de ces deux dernières années.

"Grâce à cette mobilisation exceptionnelle, ce sont 60,5% des passagers qui ont pu, non sans mal, enfin être remboursés. Cela représente aujourd’hui 3,2 millions d'euros que les compagnies aériennes ont été contraintes de restituer à 4500 passagers", souligne Maître Pitcher.

Outre le fait de devoir aller en justice pour obtenir un remboursement pourtant dû, l'avocate dénonce les multiples obstacles et manœuvres de certaines compagnies pour éviter ou retarder les remboursements.

"Différentes stratégies ont été mises en place par les compagnies aériennes pour tenter de limiter leurs frais. Ces dernières se sont notamment empressées de rembourser les agences de voyage dès l’ouverture de la procédure judiciaire, pour tenter ensuite de ne pas avoir à payer les frais de justice", explique-t-elle.

"Certaines contestent même encore avoir à rembourser ces vols annulés, comme par exemple la compagnie Royal Air Maroc. D’autres n'exécutent pas les décisions rendues par la justice ou ne respectent pas les accords conclus entre avocats pour mettre fin aux procédures" explique-t-elle.

Insolvabilité organisée

"C’est le cas, entre autres, de la compagnie Thaï Airways, qui laisse, à l’heure actuelle, encore près de 400 dossiers sans remboursement, malgré les décisions rendues à leur encontre. Cela impose aux passagers de recourir à des huissiers pour faire exécuter les décisions, et d’en supporter les frais et surtout les risques", poursuit-elle.

D'autres "organisent désormais leur insolvabilité pour gagner toujours plus de temps malgré des centaines de condamnations. D’autres ont même décidé de “simuler” leur faillite pour tenter de se soustraire à ces remboursements comme Alitalia avec la création d’ITA ou encore Norwegian qui, à elles deux, ont laissé près de 500.000 passagers sans remboursement encore aujourd’hui", affirme l'avocate.

Précisons que dans le cas d'Alitalia, la faillite n'a pas été "simulée", la compagnie nationale italienne a accumulé pendant plusieurs années de lourds déficits qui l'ont conduite à la disparition avant de renaître sous le nom d'ITA.

Contactée par BFM Business, l'IATA n'a pas retourné nos demandes de commentaires tout comme plusieurs compagnies aériennes. La FNAM (Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers) ne fait pas de commentaires mais nous indique que "ses adhérents (les compagnies aériennes, NDLR) sont bien informés des dispositions applicables du règlement 261/2004".

"Nous espérons des sanctions car la DGAC (la Direction générale de l'aviation civile) avoue son incapacité à se faire respecter", commente Joyce Pitcher.

Épinglée, la DGAC, qui est effectivement chargée de veiller à l’application du règlement 261/2004, se défend. Elle "a rappelé régulièrement aux transporteurs aériens desservant le territoire français que le règlement (CE) n°261/2004 devait être appliqué pour les vols annulés en raison de la crise de la Covid-19", explique-t-elle à BFM Business.

La DGAC inflige des sanctions

Et de préciser: "Sur la base de signalements individuels de passagers, mais aussi de constats directs qu’elle a été amenée à faire, la DGAC a écrit aux organisations représentatives des transporteurs aériens pour leur rappeler les obligations de leurs adhérents. Certains d’entre eux ont été également convoqués par la DGAC ou saisis par courrier afin de démontrer les mesures prises pour régulariser la situation de leurs clients. La DGAC est aussi intervenue directement auprès de 82 compagnies aériennes desservant le territoire français et ayant annulé des vols en raison de la pandémie de Covid-19".

Elle ajoute que "dans les cas de manquements avérés, des sanctions, sous forme d'amendes administratives, peuvent également être prononcées à l’encontre des transporteurs aériens qui ne respectent pas les obligations du règlement n°261/2004. A ce jour, des sanctions ont ainsi été infligées à hauteur de 473.500 euros à l’encontre de 10 compagnies pour des manquements au droit au remboursement et au droit à l’information constatés à l’occasion de vols annulés en raison de la pandémie de Covid-19".

Les agences de voyage également épinglées

Mais les compagnies ne seraient pas les seules fautives, selon Maître Pitcher qui épingle également certaines agences de voyage ayant reçu des fonds de la part de compagnies aériennes afin de rembourser leurs clients.

"Pourtant, les passagers ne sont, à l’heure d’aujourd’hui, toujours pas remboursés. C’est le cas notamment d’un grand nombre de dossiers impliquant le site GoToGate, qui semble avoir conservé tous les fonds, et contre lequel de nouvelles procédures sont actuellement lancées".

"Moi j'ai réussi à me faire rembourser mais ma compagne, c'est un enfer", déplore Ludovic chez nos confrères de RMC, qui a acheté des billets via Expedia, un comparateur de prix. "Ils ne sont jamais d'accord, ce n'est pas eux qui doivent rembourser, c'est la compagnie, ou l'inverse. On parle de 687 euros et ça fait plus d'un an qu'on n'arrive à rien", ajoute-t-il.

"J'ai 1600 euros non remboursés suite à un vol avec Royal Air Maroc pris via Opodo il y a bientôt... 4 ans. Opodo dit que c'est la Royal Air Maroc qui refuse de rembourser, la Royal Air Maroc dit que c'est Opodo qui doit rembourser", se désole Alexandre A. dans un groupe Facebook consacré aux contentieux avec le prestataire.

Auprès de ces clients lésés, Opodo met en avant sa bonne foi. "Cela fait près de 6 mois que nous avons soumis à la compagnie aérienne une demande de remboursement pour votre vol annulé. La compagnie aérienne ne nous a pas répondu ni proposé de solution malgré un bon nombre de relances de notre part", écrit-elle à un client.

Le gouvernement sollicité

Pour faire bouger les choses, l'avocate Joyce Pitcher annonce donc "des procédures supplémentaires devant le ministère des transports afin d’obtenir des condamnations à des amendes".

Olivia Grégoire, ministre délégué au tourisme, a en effet promis des mesures et des sanctions pour faire bouger les choses. Le ministre chargé de l’aviation civile peut également sanctionner d’une amende administrative un transporteur aérien qui ne respecte pas les obligations fixées par la réglementation en matière de droits des passagers.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business